F-16 gate: Les pilotes de la Composante Air et la Défense vont-ils être les grands perdants ?

crédit-photo Christian Decloedt/BE Defence

Le dossier du remplacement des F-16 a plutôt changé de nom dans les médias ces dernières semaines pour prendre le nom de « F-16 gate », élément de langage désormais communément repris même dans certains médias hors de Belgique. Les derniers rebondissements dans ce dossier brûlant ont essentiellement mis l’accent sur le côté politique de ce dossier ultra-sensible mais quelle place pour la Défense et les pilotes de la Composante Air, les premiers concernés ? Leur voix a été très peu évoquée et la majorité des journalistes ont montré une certaine incapacité à traiter un sujet technique et complexe pris dans l’emballement de la polémique sans prendre le temps de la réflexion.

Des opérations de haute intensité pour la Composante Air ces dernières années

Les sons de cloche, envoyés par l’opposition, laissent clairement sous-entendre qu’ils ne sont pas favorables à ce que la Belgique ait une force aérienne avec des avions de combat comme c’est le cas pour le Luxembourg qui dépend de ses voisins dans sa protection aérienne. Le paradoxe serait que la protection aérienne de la Belgique vienne à dépendre des Pays-Bas et de ses futurs F-35. Actuellement la Composante Air compte 59 appareils. Sa flotte d’appareils va être réduite à 34 mais c’est encore trop. La question actuelle est de savoir si les F-16, sollicités ces dernières années dans des opérations intenses en Irak et en Syrie, seront encore à niveau si leur durée de vie venait à être prolongé. « Avec ces dernières missions en Libye en 2011, en Afghanistan jusque 2014, en Irak depuis 2014 et dans les pays baltes de manière récurrente, la Composante Air a donc du générer en moyenne 2000 à 4000 heures additionnelles de vol opérationnel par an, sans compter les missions du QRA en Belgique », nous précise Boris Morenville, délégué au syndicat SLFP-DéfenseLe danger ne sera-t-il pas plus grand pour les pilotes ?

Des F-16 belges en Jordanie (crédit-photo BE Defence)

Quelle sera la plus grande menace pour les pilotes dans les années à venir ?

« Statistiquement, on compte selon des sources ouvertes pas moins de 7 avions de chasse abattus par des missiles ou artillerie anti-aérienne en Ukraine en 2014, 6 avions de chasse syriens et 1 russe abattus en 2015, 9 syriens en 2016, 5 syriens en 2017, 1 russe, 1 syrien and 1 israélien en 2018  » , explique-t-il. Lors de leur mission de l’air dans les pays baltes, les F-16 belges  sont détectés par des radars russes dès leur décollage d’une des bases de l’OTAN et sont susceptibles d’être la cible d’un missile qui partirait depuis la Russie. Boris Morenville estime que la plus grande menace dans les années à venir pour les avions de chasse viendraient d’un risque lié au concept A2AD et à la prolifération de systèmes de missiles soutenus par la Russie de par sa politique de vente à des acteurs internationaux douteux. Le syndicaliste se veut toutefois rassurant: « La Belgique a renforcé les systèmes de contre-mesure électronique de ses F-16 pour en améliorer la chance de survie, comme par exemple la détection de radars dans une plus grande marge de fréquence, ou encore en améliorant les leurres pour contrer des systèmes plus sophistiqués. Les pilotes F-16 belges sont également bien entraînés pour réagir rapidement en cas de détection d’une menace missile, par exemple en plongeant vers le sol pour altérer la détection des radars », nous précise-t-il. Mais ce dossier et ses rebondissements ne sont-ils pas révélateurs d’un manque d’ambition politique de la Belgique dans la Défense ?

André Flahaut a été ministre de la Défense entre 1999 et 2007

Un rôle humanitaire pour la Défense pour l’opposition socialiste

L’emballement, presque schizophrénique de l’opposition qui s’en prend à chaque dossier d’achats militaires, est suivi par les médias dans leur globalité. D’ailleurs , l’ancien ministre socialiste de la Défense, André Flahaut fait le tour des plateaux pour s’en prendre à Steven Vandeput sans avoir de contradiction. Pourtant certains milieux militaires n’ont pas réellement gardé de bons souvenirs de son mandat. La page FB Belgian Military Interests s’en prend à l’ancien ministre et ses achats de matériel inutiles ou qui rencontrent toujours des problèmes: Piranha DF90, Lynx et Dingo. « Pensez-vous que d’autres pays vont continuer à payer pour notre sécurité parce que la Belgique ne respecte pas totalement ses obligations internationales ? », s’insurgent les administrateurs de la page, qui sont des militaires. Un avis que partage William Testaert, porte-parole de PRODef.be. « Il a imposé un changement faisant fi de tout achat de matériel  » de guerre » mais investissant avidement dans des camions, les C 130 et le « social » au sein de cette Défense », explique-t-il avant d’ajouter « aucun investissement dans du matériel « agressif » mais plutôt une orientation humanitaire et donc achat des A400 M de transport, remplacement quasi immédiat d’un C130 détruit par un incendie, rejet de la modernisation du char Leopard et quasiment aucun investissement d’ampleur dans la Marine…avec quand-même une volonté marqué de « Défense Européenne » au niveau politique, surtout pour prétexter une diminution dans les investissements Défense ». Au sein du parti socialiste, cette orientation du rôle humanitaire de la Défense est toujours d’actualité comme l’illustre ce document produit en décembre 2016 par l’IEV, le centre d’études du PS, et intitulé « l’aide à la population et la promotion de la paix comme missions prioritaires de l’armée ». Entre les lignes, on comprend que l’armée doit être là en priorité pour faire face à des crises humanitaires de grande ampleur (exemple B-Fast), ce qui n’est plus le cas avec la vision stratégique du ministre Vandeput. « L’opposition poursuit son travail de détricotage du processus de modernisation de la défense belge », analyse Joseph Henrotin, rédacteur en chef du magazine DSI (Défense & Sécurité Internationale). Au final, la Défense et la Composante Air font les frais du travail de sape de l’opposition contre le ministre Steven Vandeput et voient leur image écornée.

Le général-major aviateur Frederik Vansina est le chef de la Composante Air depuis 2014 (crédit-photo BE Defence)

La Défense discréditée ?

« Remplacement des F-16: la Défense joue son rôle de « grande muette », titre la RTBF après la sortie des révélations sur ce fameux document évoquant la possibilité du prolongement des F-16 et qui aurait été dissimulé par des hauts-gradés de la Composante Air. Le souvenir du scandale A109 – Agusta, qui impliquait d’ailleurs des élus socialistes, est toujours présent. L’idée du complot pour favoriser le F-35 fait son chemin dans les médias au moment où paradoxalement la VRT diffuse une série de documentaires sur les F-16 et leurs pilotes et que la Défense lance une campagne de publicité pour recruter des pilotes.  L’emballement médiatique sur le moindre document, sans analyse approfondie, peut expliquer une certaine crainte à diffuser une telle information qui pourrait mettre en péril le dossier d’achats quelqu’en soit le choix. « Au niveau du contenu, je suis convaincu que nos spécialistes sont parfaitement à même de (re)placer dans leur contexte les documents rendus publics concernant l’usure métallique de nos F-16 et d’en donner la signification exacte ainsi qu’un éclairage sur leur valeur factuelle. Ces éléments sont d’une nature tellement technique qu’il faudra apporter certaines nuances au débat », a commenté le général Marc Compernol, chef de la Défense, dans la feuille d’information interne. Il est certain que le F-35 a une préférence chez certains militaires de la Composante Air mais c’est leur donner plus de pouvoir qu’ils n’ont.  Les conclusions de l’équipe d’achat seront transmis par le ministre Vandeput au gouvernement qui prendra la décision finale. Un coup dépeint comme sans influence au sein du gouvernement par l’opposition, le ministre Steven Vandeput serait soudain assez puissant pour imposer le choix du F-35 à la majorité, qui est partagée sur le sujet entre francophones et néerlandophones ? Le ministre, inconnu du grand public avant sa nomination, n’a jamais publiquement donné son avis contrairement à son prédécesseur Pieter De Crem, qui ne s’est pas caché pour dire sa préférence pour le F-35 durant son mandat. Il a toujours tenté de faire preuve de neutralité et d’une transparence la plus grande possible. Le fait qu’il ait viré un de ses adjoints qui était en contact avec Lockheed Martin est plutôt à mettre à son crédit que le contraire, mais qu’importe l’opposition veut sa tête.

Au final au milieu de toute cette polémique, il est important de rappeler que la vie et la sécurité du personnel militaire sont en jeu au sein de ce dossier. « Un outil adéquat pour le personnel qualifié qui garantit la sécurité de la Belgique », synthétise Boris Morenville. Pas une seule fois cet enjeu n’a été abordé par l’opposition, qui sera la première à s’en prendre au ministre compétent en cas de pertes humaines, ni par les médias d’ailleurs qui préfèrent traiter l’aspect politique du dossier. Il est également révélateur d’un manque d’ambition de la part des partis dans leur ensemble pour une politique de Défense sérieuse et ambitieuse sous couvert d’une Défense européenne alors que l’armée belge ne cesse de coopérer.

5 commentaires

  1. Selon votre analyse, toute la problématique actuelle rn Belgique vient du cout associé à un nombre d’appareils très reduits.
    Il y a 2 semaines j’avais publié sur linkedin un article qui pourrait élargir le debat.

    Pour faire court, 60 Rafale couteraient 60% moins chers a acheter et utiliser que 34 F35, sur la base de la compensation industrielle de 5000 emplois pour 34 appareils proposée par la France. Si pour 60 appareils, la compensation passait à 7000 emplois, l’offre serait autoporteuse du point de vue du budget fédéral. Attention, il s’agit bien du cout achat + utilisation, pas simplement achat.
    Après, l’appareil francais et le F35 ont chacun des avantages et inconvénients, mais en aucun cas le F35 ne surpasse le Rafale F4. Ce n’est vrais que sur les plaquettes et dans les salons de Lockheed..,
    A vrais dire, il serait même possible, pour 8500 emplois garantis, de faire un montage autoporteur pour 120 Rafale F4…
    Bref, vous saisissez l’idee…
    Il ne s’agit pas de faire la promotion bête du chasseur de Dassault, mais il semble évident que la France est prête à beaucoup pour que la Belgique se joigne a elle. Pour un pays qui est toujours perçu comme prétentieux, il montre patte blanche pour impulser une dynamique européenne à La Défense avec la Belgique. Car, ne vous y trompez pas, cette offre est tout simplement 2 fois meilleure que celle faite aux autres clients du Rafale. Sur ce dossier, elle travaille à marge nulle, sur la durée (incluant la maintenance)
    Bref, cela mériterait probablement une etude plus approfondie ..
    Bonne soirée

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    • Si je comprends bien que vous souhaitiez vendre le Rafale, je pense que vous n’avez pas compris le sens de mon article. Si je parle du F-35, c’est que dans cette affaire, l’opposition associe « manipulation » de l’armée sur le fait de cacher une possible prolongation du F-16 et choix en faveur du F-35. Plus largement l’opposition sous-entend qu’elle est contre l’achat trop cher de nouveaux avions de chasse, F-35 ou Rafale, et a également remis en cause la participation au programme Scorpion (qui concerne la France) et l’achat de nouveaux drones. C’est pour ça d’ailleurs que les partisans du Rafale français devraient faire attention avant de reprendre les arguments de l’opposition. Pour le dossier du F-16, les officiers mis en cause sont chargés d’étudier les dossiers des candidats qui ont suivi le Rfgp. Le Rafale n’est pas totalement écarté et dépendra d’une décision politique du gouvernement.
      Plus simplement je voulais recentrer le débat sur les premiers concernés: les pilotes à qui on explique qu’ils peuvent encore voler avec leurs F-16 des années supplémentaires, un débat signe d’un manque d’ambition en matière de politique de Défense de la part de la classe politique belge, opposition en tête.

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