Wally Struys: « La Défense belge devra miser encore davantage sur la qualité plutôt que la quantité »

Le gouvernement Charles Michel a décidé d’investir dans la Défense avec plusieurs décisions prises à la fin du mois d’octobre sur des grands achats de remplacement. A l’Avant-Garde fait le point avec Wally Struys, économiste de la Défense et professeur émérite à l’Ecole Royale Militaire (ERM).

Le gouvernement vient de prendre des décisions importantes sur des gros investissements militaires. Cela sera-t-il suffisant pour donner un nouveau souffle à la Défense belge ? Ou bien est-ce juste un répit dans la réduction des forces ?

Le pouvoir d’achat du budget octroyé à la Défense n’a jamais été aussi bas. Il continuera à baisser jusqu’à la fin de la présente législature. Au sein de ce budget, les acquisitions ont été largement déficitaires. Les dépenses en capital (les acquisitions de matériels) sont restées loin au-dessous d’un niveau « normal » depuis les années quatre-vingt-dix. Les pourcentages remontent depuis 2016, mais restent encore inférieurs à la normale. Les décisions actuelles du gouvernement, portant sur la période 2018-2030, ne constituent qu’un rattrapage ! Il faudra que les gouvernements suivants continuent à accorder une priorité moins subalterne à la Défense et à remettre et maintenir à un niveau adéquat le matériel de la Défense.

Des F-16 belges en Jordanie dans le cadre de la coalition contre l’EI (crédit-photo BE Defence)

Le dossier du remplacement des F-16 aura le plus compliqué et le plus long à aboutir. L’opposition a été très vive et juge la dépense démesurée et inutile. La Belgique peut-elle vraiment se passer d’une Composante Air ? Les chiffres ne sont-ils pas exagérés alors qu’ils s’étalent sur des dizaines d’années ?

La Belgique ne peut pas se passer d’une Composante Air. Elle a un besoin constant d’un outil afin de lui permettre de jouer un rôle crédible et solidaire dans la sécurité et la Défense communes, tant au niveau de l’OTAN que de l’UE, comme les campagnes anti-Daesh l’ont démontré. L’acquisition du F-35 constitue un élément-clé dans la modernisation de la Défense belge. En outre, le besoin d’un outil de transport tactique – les futurs A400M -, des hélicoptères et des UAS ne souffre d’aucune contestation.

Le coût de la capacité aérienne jusqu’en 2058 se monte à quelque 9,1 milliards d’euros pour les seuls F-35. Si l’on y ajoute les coûts afférant aux F-16, ce coût devient 12,5 milliards d’euros. Sur une période de quarante années, il ne s’agit certainement pas d’une dépense exagérée : à politique inchangée, cela représente environ 8 à 9% du budget de la Défense.

Le nombre des militaires belges est descendu en dessous de la barre des 25.000, chiffre fixé par la vision stratégique. Est-ce inquiétant pour l’armée belge ? La tendance peut-elle s’inverser ? L’outsourcing est-il une solution plus économique ?

C’est en effet inquiétant mais, pour des raisons purement politiques, il ne me paraît pas possible d’inverser la tendance. La Défense belge devra miser encore davantage sur la qualité plutôt que la quantité. Les gouvernements devront choisir moins de missions, mais davantage ciblées dans des niches d’excellence.

Le recours à l’outsourcing est une des solutions lancée par le gouvernement même si cela peut impliquer une certaine perte de souveraineté de l’armée. Est-ce vraiment plus économique ?

L’outsourcing ne porte que sur des tâches non essentielles, pas vraiment dévolues à des militaires en soi ; il n’est donc pas question de perte de souveraineté de l’armée. Il est plus économique soit directement, si le prestataire de services est moins cher, soit indirectement si on tient compte du coût important de la formation des militaires et de leurs manœuvres et exercices, que l’on galvauderait en les affectant à des tâches ancillaires. Il s’agit d’une évaluation coût/efficacité.

Avec sa vision stratégique, le gouvernement veut tendre vers les fameux 2% du PIB. Est-ce vraiment réaliste et réalisable pour un pays de la taille de la Belgique ?

Les fameux 2% du PIB constituent un véritable veau d’or pour la majorité des pays membres de l’OTAN. Comme il a déjà été souligné à plusieurs reprises, ces 2 % ne constituent qu’un critère de l’appréciation d’une participation à la Défense commune. Il convient de tenir encore compte, par exemple, du pourcentage des acquisitions de matériels, de la participation quantitative et qualitative aux opérations extérieures, de la coopération politique et de la diplomatie communes, etc. Pour ce qui concerne le pourcentage par rapport au PIB, la Belgique devrait plutôt viser la moyenne européenne. Je ne pense pas qu’elle soit capable d’y parvenir pour 2024, contrairement aux promesses politiques.

Avec le choix de la Belgique du F-35, le débat sur la défense européenne est revenu sur la table. Est-elle une vieille chimère qu’on continue de poursuivre ou bien est-ce le début d’une prise de conscience avec la recherche de mise en place de projets concrets ?

On ne peut en effet que déplorer le déficit de la solidarité européenne. Puisque la Belgique avait acheté ses F-16 en cartel avec trois autres pays européens, on aurait pu espérer voir les calendriers d’expression et d’harmonisation des besoins coïncider et permettre à nouveau une acquisition en commun. Il n’en est toutefois rien ; les Pays-Bas, le Danemark et la Norvège ont entamé leur procédure d’achat depuis longtemps et ont déjà choisi le F-35, alors que la Belgique a fait cavalier seul. Le Traité de Lisbonne avait pourtant avancé comme nécessité évidente le double concept de Mutualisation et de Partage, tant lors d’une acquisition que pour le suivi logistique. On en est loin. Ce débat est néanmoins sur la table européenne depuis décembre 2016.

Aujourd’hui, de nombreuses intentions politiques ont commencé à être implémentées sur le plan européen, par exemple dans le cadre des 17 projets PESCO. Il est cependant encore trop tôt pour en évaluer les effets.

En périphérie du dossier du remplacement des F-16, on a évoqué une contribution belge au projet SCAF. Est-ce justement un projet de ce type qui pourrait concurrencer l’industrie américaine comme Lockheed Martin et donner une alternative crédible ?

Le projet SCAF peut constituer une alternative crédible, mais à long terme : il faudra plus de vingt ans pour que la recherche, le développement et l’évaluation d’un système d’arme soient menés à terme. Le problème n’est toutefois ni industriel, ni scientifique. Tout dépendra de la volonté des gouvernements nationaux de céder une part de leur souveraineté nationale en matière de (production pour la) Défense…

Un commentaire

  1. Dommage de toujours tout ramener au F-15/F-35. Avec le dossier CaMo SCORPION on est dans la défense Européenne comme jamais. OK ce n’est « que » 1,2 lillard d’euros mais avec une réelle coopération en devenir, avec un espace de croissance exceptionnel avec beaucoup d’autres choses.
    Ensuite la vision « La Défense belge devra miser encore davantage sur la qualité plutôt que la quantité. Les gouvernements devront choisir moins de missions, mais davantage ciblées dans des niches d’excellence » est une vision du passé. Les niches c’est pour les chiens. aucun pays de l’UE ou de l’OTAN n’accepte qu’un autre ne se spécialise à outrance. Le Burden Sharing se fait également au niveau capacitaire. Le mètre étalon dans ce domaine pour la Force Terrestre c’est la Brigade. La Balgique a choisi d’offrir à l’OTAN une (voir deux) brigade motorisée. Voilà c’est la niche terrestre et il faut maintenant qu’elle soit viable et ce n’est pas avec 8000 équivalent temps plein qu’on y arrive.
    Ne pas oublier non plus que la quantité est aussi une qualité comme l’a très bien dit le CEMAT mais aussi V. Poutine (cfr la remarque sur les T64 qu’il a ressorti pour l’Ex Vostok 2018 versus les Javelin US).

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