Général-major Pierre Neirinckx : « La Composante Médicale va vivre quelques années de restructuration »

Le général-major Pierre Neirinckx est le commandant de la Composante Médicale depuis le 22 avril 2015 (crédit-photo BE Defence)

A l’instar des autres Composantes, la Composante Médicale entame discrètement sa mutation avec la mise en place de la vision stratégique du ministre Steven Vandeput. Loin d’être la plus en vue, elle va pourtant se greffer à tous les grands dossiers actuels et se transformer. Entretien avec le Général-major Pierre Neirinckx, commandant de la Composante Médicale, pour évoquer son avenir et les dossiers en cours.

La vision stratégique du ministre Steven Vandeput évoquait une dissolution de la Composante Médicale au profit des trois autres composantes pour s’articuler autour de trois piliers : opération, mise en condition et support. Qu’en est-il ? Quel visage aura la Composante Médicale dans les années à venir ?

La déclaration gouvernementale laissait une piste ouverte pour une réflexion qui a été très vite refermée. L’armée belge aura besoin d’une Composante Médicale à part entière. Il ne servait à rien de dupliquer trois fois une structure médicale. En revanche, on a mené une autre réflexion pour assurer leur niveau d’ambition sur l’appui-santé. La Composante Médicale sera la seule qui va augmenter ses effectifs de façon significative en passant de 4% à 7% des effectifs globaux de la Défense à l’horizon 2030. J’ai un plan de recrutement qui est plus ambitieux que mes collègues. La tendance de la réarticulation est de renforcer le pilier-opérationnel avec plusieurs séries de scénarios qui ont été étudiés avec les autres collègues pour adapter le plan appui-santé à leurs besoins. Une spécialisation des unités médicales est nécessaire parce qu’au plan tactique, les procédés vont différer. Les unités opérationnelles seront articulées autour des spécialités de la Brigade Motorisée, des unités du Special Operations Regiment, des unités aériennes et de la Marine. Dans les piliers de mise en condition et de soutien, la tendance générale tend vers le regroupement des processus communs dans le domaine des soins médicaux territoriaux, de la logistique, de la pharmacie et du soutien informatique. Il s’agit de rationaliser et de libérer du personnel pour mettre l’accent sur le pilier opérations. La Composante va vivre quelques années de restructuration mais on gardera un commandement unique à son niveau pour les aspects médico-techniques.

L’Hôpital Militaire Reine Astrid le jour des attentats du 22 mars (photo BE Defence)

« L’audit a confirmé le maintien de l’Hôpital Militaire Reine Astrid »

L’Hôpital Militaire Reine Astrid a fait l’objet d’un audit. Qu’en est-il ressorti ?

L’audit a eu lieu courant 2016. Il a confirmé le maintien d’une structure militaire en raison d’une particularité de la Défense. L’hôpital n’est pas uniquement un endroit de soins mais il sert aussi pour la sélection médicale du personnel qui rejoint l’armée, les tests et le suivi. Il a confirmé également qu’il avait des particularités dans les pathologies de guerre. L’audit a ainsi recommandé son maintien tout en soulignant la nécessité de s’associer avec des partenaires civils, entre autres au travers de l’intégration des spécificités des pathologies similaires aux pathologies de guerre comme niches de référence dans le nouveau cadre légal des réseaux hospitaliers. Des accords de collaboration ont déjà commencé en soi mais l’audit a confirmé qu’il fallait continuer dans cette voie-là. De plus, nous avions besoin de conserver une médecine du travail militaire sur les métiers spécialisés de pilotes, marins, plongeurs, parachutistes.

Son avenir revient régulièrement sur la table ces dernières années ?

Effectivement avec à chaque fois un questionnement sur la nécessité de son utilité dans un réseau hospitalier belge qui est relativement dense avec une proximité géographique. Cette question, qui s’est posée durant de nombreuses années, nous a forcé à réfléchir sur de la médecine de niches. De toute façon, il n’était pas envisageable de créer un centre des grands brûlés dans un autre hôpital universitaire. En plus, certains hôpitaux universitaires n’étaient pas chauds pour investir dans ces niches-là. Tout récemment après l’audit, des réflexions se sont menées pour intégrer ces niches dans la nouvelle législation belge sur le réseau hospitalier qui va imposer de ne pas dupliquer des capacités pour une raison de qualité de soins.

« Le 1/4 EMI devient la première structure médicale « new-look » »

En mars 2018, le 1 et 4 EMI participaient à l’exercice Medic Fusion sur les plages de Lombardsijde en vue de leur fusion (crédit-photo Daniel Orban/BE Defence)

Le 1er EMI avait été l’objet d’une attention médiatique en 2016 après l’annonce de sa dissolution dans la presse ensuite démentie. Aujourd’hui, il a fusionné avec le 4ème EMI. Pourquoi cette fusion ? Quelle en sera le plus ?

Il n’a jamais été question de fermer le 1er EMI. C’était une mésinformation. Les premières ébauches de la fusion ont commencé fin 2016, début 2017. La fusion est effective depuis mi-2018 et l’unité a pris le nom de 1/4 EMI. Il a fallu régler beaucoup de problèmes logistiques pour la mener à bien. Dans le cadre de réduction des effectifs, il fallait rationaliser les processus de travail. Quand vous dédoublez des bureaux personnels ou de ressources humaines pour deux unités de 130 hommes, vous avez besoin de moins de monde pour une unité de 260 hommes. On a visé une meilleure approche des processus de gestion et des processus logistiques. Nous avons commencé par le 1er EMI parce que c’est l’unité la plus complexe. La fusion a créé une entité médicale de niveau « bataillon médical » avec une compagnie spécialisée dans le domaine Marine, une autre dans le domaine de l’Air avec les aspects spécifiques des évacuations médicales aériennes et une autre dédiée aux unités du Special Operations Regiment, incluant le Special Forces Group. Elle devient la première structure médicale « new-look ». Il y aura plus tard une restructuration identique avec un seul état-major et une spécialisation pour l’appui-médical à la Brigade Motorisée au travers de deux compagnies médicales. Une autre unité s’occupera des structures hospitalières de rôle 2. Nous n’irons pas vers le rôle 3. Nous aurons des équipes chirurgicales qu’on projettera en rôle 1.

La Composante Médicale aura sa part du programme Scorpion

De nombreux investissements sont prévus dans la vision stratégique. La Composante Médicale aura-t-elle sa part notamment avec l’acquisition de nouveaux blindés dans le cadre du programme Scorpion et une version ambulances ?

Comme à l’Armée de Terre française, on va évoluer vers l’ambulance Griffon. Les véhicules de soins et ambulances sont comptabilisés dans le contrat passé entre les deux pays. Tout comme la Composante Terre, on fera de même à la Composante Médicale pour les systèmes d’armements. On revoit encore nos collègues français à la fin du mois à Paris pour commencer à réfléchir à l’intégration tactique parce qu’il y a une série de choses qui pourrait être différente de ce qu’on faisait auparavant. Les 2 et 3 EMI sont prévus pour constituer ce bataillon médical dédié aux opérations de la Brigade Motorisée. Leurs éléments de niveau rôle 1 s’intégreront aux mêmes matériels, véhicules et équipements du programme Scorpion avec la spécificité de l’appui médical. Le renouvellement était nécessaire. La Belgique vient d’entamer également des démarches pour acquérir un nouvel hôpital de campagne de rôle 2 qui se déclinera en version plus basique et plus mobile. La Composante Médicale est à chaque fois intégrée dans les programmes d’achats majeurs avec la petite coloration santé.

« Les choses vont s’améliorer à partir de 2021 »

A partir de 2021, la Composante Médicale manquera moins de personnel (crédit-photo BE Defence)

La Composante Médicale n’est pas épargnée par la problématique du recrutement avec un manque d’officiers. Qu’en est-il ? Quelles vont-être ses besoins dans les années à venir ?

Pour être honnête, le statut actuel des praticiens de santé dans le monde opérationnel de la Défense ne correspond plus aux exigences médicotechniques et militaires nécessaires à l’appui médical des opérations expéditionnaires actuelles. Il est nécessaire d’évoluer. C’est un problème qu’on remarque dans tous les pays de l’OTAN à l’exception des Etats-Unis. Ce n’est pas spécifique à la Belgique. La rétention est aussi importante que le recrutement. Il faut qu’on fasse des efforts dans ce domaine et ils ne sont pas que financiers. C’est un peu moins le cas pour les infirmiers, une profession qui a tendance à se masculiniser contrairement aux médecins. J’ai beaucoup moins de soucis pour le recrutement des infirmiers. Le profil des compétences est différent du civil qui tend vers une super-spécialisation. Le praticien militaire doit être capable de pouvoir prendre en charge plusieurs types de blessure. Pour acquérir et entretenir toutes ces compétences polyvalentes, rien n’est aujourd’hui organisé de manière structurelle pour ces entraînements et rien n’est actuellement prévu pour valoriser ses capacités particulières des médecins militaires. Ce n’est pas simple de trouver le juste milieu qui nous permettrait de recruter les profils nécessaires à la Défense. Des efforts considérables ont été faits pour stimuler des vocations et accompagner des étudiants. Actuellement, on a 66 étudiants-militaires en formation en médecine répartis sur les années de spécialisation. Il va falloir juste bien s’occuper d’eux pour pouvoir les maintenir. Il faut se rendre compte qu’en six ans, leur situation personnelle peut évoluer tout comme l’idée qu’ils se font de la profession. On a touché le fond et les besoins opérationnels ne seront pas complètement couverts pour les deux prochaines années. Les choses vont s’améliorer à partir de 2021 avec les grosses promotions qui vont commencer à sortir. Cela ira mieux également si on continue de faire des efforts pour la rétention du personnel. On paie aussi le prix d’une durée de formation qui dépasse les dix ans.

Lors de la Commission de la Défense Nationale de la semaine dernière, l’appel à des médecins du privé a été évoqué. Est-ce envisagé ?

Pour les prestataires civils, il faudra distinguer deux groupes, les prestataires qui peuvent aider sur le plan territorial pour la garantir la consultation dans un centre médical régional (CMR). Là vous pouvez faire appel à des médecins civils pour un coup de main dans la médecine générale. A l’inverse, ils ne se destinent pas à une vie de médecins réservistes qui pourraient nous aider en opérations. La Composante Médicale recherche deux groupes cibles différents. J’aimerai bien que plus de réservistes viennent nous aider pour partir en opérations. Il y a des actions différentes pour pouvoir attirer à la Défense des collègues civils pour envisager une contribution à la réserve ou à la vie territoriale. Les jeunes médecins militaires sont surtout intéressés par les entraînements et les opérations. Les tâches territoriales ne sont pas ce pour quoi ils se sont engagés.

En mai 2017, la Belgique a signé l’accord de coopération qui créait  le Multinational Medical Coordination Center (MMCC) avec sept autres pays de l’OTAN (crédit-photo Composante Médicale)

« L’interopérabilité à tout niveau ne cesse de progresser »

La coopération internationale est au cœur de la vision stratégique et de l’avenir des autres Composantes. Quels types de coopération sont possibles dans le domaine médical ?

Dans le monde médical militaire, la coopération internationale est une réalité de longue date et cela ne constitue pas un nouveau défi pour nous. Dès qu’on entre dans une contribution internationale, il y a d’office des contacts entre partenaires médicaux des pays participants. Dans tous les cas, on essaye de faire une économie de moyens. Aujourd’hui, le bataillon belge déployé en Estonie fait un rôle 1 avec les Britanniques. La Belgique contribue actuellement à une unité médicale allemande en Afghanistan et au Mali. Nous mettrons prochainement à la disposition de nations alliées une capacité chirurgicale en Afrique. Aucun pays ne peut plus se déployer sans coopération. L’interopérabilité à tout niveau ne cesse de progresser.  Maintenant je pense que tant au niveau PESCO qu’au niveau otanien, il y a la volonté de plus formaliser cette coopération médicale au sein du Multinational Medical Coordination Center (MMCC) ou de l’European Medical Command (EMC). Avec le Benelux, on essaye de contribuer à quelque chose et ça marche très bien.

En 2017 et 2018, le général-major Pierre Neirinck a rendu visite à ses troupes déployés pour les Fêtes de fin d’année dans le cadre de l’opération Vigilant Guardian (crédit-photo Christian Decloedt
/ BE Defence)

Pour terminer, on peut évoquer l’opération Vigilant Guardian à laquelle la Composante Médicale a tenu à apporter sa contribution. S’est-elle bien adaptée à cette mission ? Cela a-t-il eu des conséquences ? Sa participation a-t-elle été appréciée par vos collègues de la Composante Terre ?

Ça fait partie de la répartition de la charge. Je dois me sentir solidaire par rapport à mes collègues de la Composante Terre en contribuant honnêtement. Je pense que notre contribution a été appréciée à tous les échelons de la Composante Terre. Nous avons pu démontrer que nous pouvions nous « reconvertir » et nous intégrer dans un dispositif militaire non médical. Il a fallu se réaligner sur certains procédés tactiques de la Composante Terre parce que ce n’était pas ce qu’on faisait tous les jours. Nous ne sommes pas réfugiés derrière de pseudo-arguments pour ne pas contribuer. C’est vrai que ça a coûté à certaines phases d’entraînement sur le plan médicotechnique. On a eu un même impact du même ordre de grandeur que nos collègues. Maintenant le rythme est moindre et cela devient plus gérable.

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