2015-2020: La Défense raconte cinq ans d’opération Vigilant Guardian

L’opération Vigilant Guardian dure déjà depuis cinq ans (crédit-photo Marie-Madeleine Courtial/A l’Avant-Garde)

En 2020, on pourrait avoir l’impression d’avoir tout écrit sur l’opération Vigilant Guardian. Depuis 2015, les articles journalistiques n’ont pas manqué et ce n’est pas pour rien face à cette situation inédite tant pour la population que pour l’armée. Il est trop tôt pour dire quel sera le jugement de l’Histoire sur cette période mais il est certain qu’elle aura sa place et qu’elle intéressera les chercheurs. Cinq après, quel regard porte l’armée sur ce qu’on appelle OVG dans le jargon militaire ? Eléments de réponse avec le capitaine de vaisseau Carl Gillis, commandant de l’opération depuis 2017 et responsable de la Division Opérations de la Défense.

Une absence totale de planification

« Cette opération a été lancée sans phase de planification et sans limite avec un renouvellement chaque mois. On a été jeté dedans du jour au lendemain. Durant deux ans, personne n’a pris le risque de faire un plan avec la peur que l’opération se termine deux jours plus tard », explique le commandant de l’opération. Après les attentats de Paris en novembre 2015, il y a une montée brutale mais les militaires sont déployés dans le flou sans de véritables consignes claires. En 2016, c’est le même chaos lors des attentats du 22 mars. Une fois de plus, il a été demandé à la Défense d’envoyer tout ce qu’elle avait. L’Etat-Major a alors contacté tous les chefs de corps pour savoir quelles troupes étaient disponibles. Surchargée, la police a eu du mal à coordonner les renforts militaires. C’est rajouté à la confusion la panne du réseau Astrid, utilisé par les services de secours et de police, qui s’est retrouvé saturé, compliquant ainsi la tâche des services concernés déjà débordés. 2017 est un premier tournant avec l’arrivée du général-major Marc Thys, qui décide de fixer le cap et d’inscrire pleinement Vigilant Guardian comme une opération ce qui a facilité l’organisation logistique et amélioré les logements. En janvier 2018 après la baisse du niveau de menace de trois à deux, le chiffre de militaires déployés s’est stabilisé à 550 le nombre maximum de militaires déployés ce qui n’est pas la réalité du terrain dont le chiffre tourne autour de 420 avec l’opération Spring Guardian. Depuis c’est le statut quo et l’opération perdure sans fin.

En octobre 2017, la Défense a mis en place un dispositif plus dynamique (crédit-photo Marie-Madeleine Courtial/A l’Avant-Garde)

Les militaires deviennent des cibles

« On nous a demandé de prendre des risques et on a pris des risques. Des militaires ont été visés par une attaque à Bruxelles (ndlr : 25 août 2017). Cela a été un choc car la plupart des postes étaient statiques. Nos soldats étaient des pots de fleurs. Il était facile de planifier un attentat avec un minimum de repérage », insiste le capitaine de vaisseau Carl Gillis. Quelques mois plus tard après cette attaque sur des militaires, la Défense obtient le 15 octobre la mise en place de patrouilles dynamiques ce qui permet d’optimiser le dispositif et de réduire un peu le nombre. Ce dispositif n’est toutefois effectif à Anvers que depuis cet été. La prochaine étape pour la Défense est de mettre en place son plan « 200 plus 100 », préparé depuis 2018 et qui amorce le retrait des militaires des rues de façon progressive, et d’arriver à convaincre les politiques et la police. Ce plan est plus tenable pour la Composante Terre avec le déploiement de 200 militaires et une réserve de 100 déployable. Selon ce plan, il ne resterait plus qu’une trentaine de militaires dans les rues en septembre 2020. Bloqué un certain temps, le plan a été relancé depuis quelques jours par le nouveau ministre de la Défense Philippe Goffin qui veut faire bouger les choses mais du côté de l’Intérieur, on est plus réticent. Les militaires continueraient juste de garder les centrales nucléaires flamandes, ce qui mettrait fin à l’opération Vigilant Guardian mais pas Spring Guardian. En cinq ans, l’opération a montré ses limites.

La population s’est habituée à la présence des militaires dans les rues (crédit-photo Marie-Madeleine Courtial/A l’Avant-Garde)

Une efficacité limitée 

Question efficacité, l’opération Vigilant Guardian ne l’est pas vraiment à cause de règles d’engagement beaucoup trop restrictives qui ont été critiquées dès le départ. Les militaires n’ont le droit d’agir qu’en cas de strict auto-défense et d’attaque terroriste manifeste et en aucun cas faire de la prévention. « Nos militaires ne peuvent rien faire et la population ne comprend pas. On avait pensé avoir des patrouilles mixtes avec l’accompagnement de policiers mais cela a duré quelques semaines », constate le commandant OVG. Lors d’une bagarre devant la Gare Centrale de Bruxelles, la patrouille militaire a ainsi attendu 25 minutes l’arrivée des policiers tandis que la police des chemins de fer, présente à quelques mètres, ne pouvait pas intervenir non plus car ce n’était pas dans son domaine de compétences. Une situation ubuesque. Les militaires ont toutefois la fréquence des radios de la police ce qui leur permet de faire appel plus facilement à elle.  Il n’est pas question non plus pour la Défense d’avoir des militaires au contact de manifestants alors que les manifestions sont nombreuses à Bruxelles. « A chaque manifestation, on retire les militaires de l’endroit où elle se tient. J’ai dit à mes gars qu’il n’est pas question d’avoir des images d’un véhicule militaire brûlé à la télévision », est catégorique le capitaine de vaisseau Carl Gillis. En France, un véhicule de l’opération Sentinelle avait été incendiée en marge d’une manifestation de Gilets Jaunes à Paris en février 2019. Un tel incident n’a pas eu lieu en Belgique.

Certaines institutions restent au niveau 3 et sont toujours protégés par les militaires (crédit-photo Marie-Madeleine Courtial/A l’Avant-Garde)

Une Défense absente de la prise de décision

La Défense veut mettre fin à cette opération mais elle n’a aucun impact sur la prise de décision. Elle est absente des deux organes, qui préparent le Conseil des ministres, alors que tous les autres acteurs de la sécurité sont présents. Le capitaine de vaisseau Carl Gillis n’a pu y participer qu’à deux reprises mais simplement pour expliquer de façon « ad hoc » le point de vue de la Défense. La difficulté est de pouvoir convaincre tous les acteurs entre le gouvernement, la police fédérale et les bourgmestres avec la police locale. « Le militaire est peu cher, fiable et robuste. Vigilant Guardian est financé par un fonds interdépartemental au niveau fédéral de 200 millions d’euros. Pour les bourgmestres, cela signifie de l’argent supplémentaire qu’ils devront investir dans les zones de police », analyse-t-il avant d’ajouter « les politiques auront du mal à expliquer qu’on retire les militaires. Au bout de cinq ans, on fait partie de la rue. Les gens ont l’habitude de nous voir ». Si l’opération a duré aussi longtemps, c’est aussi avec l’apparition du niveau de menace « 2+ », un niveau intermédiaire entre le deux et le trois, créé par le centre de crise et qui a justifié le maintien des militaires dans les rues alors qu’ils devaient se retirer en-dessous de trois. L’armée craint des conséquences à long terme de cette opération qui s’éternise.

Malgré les difficultés, l’armée belge continue d’apporter sa contribution à l’étranger (crédit-photo Vincent Bordignon/BE Défense)

Des conséquences difficiles à évaluer

Entre perte de compétences et capacité de projection diminué, la Composante Terre est la plus touchée par l’opération. Pour le capitaine de vaisseau Carl Gillis, il sera difficile d’en mesurer les conséquences à court terme mais on pourrait les ressentir dans quelques années. « La Défense est en train de perdre toute une génération de jeunes soldats. On perd notre capacité au combat. Cela ne sent pas tout de suite. On verra les conséquences quand nos militaires seront au contact en opérations. Ce n’est pas tangible mais c’est présent », explique-t-il. De plus le déploiement de 420 militaires en Belgique fait que ce sont en tout 1.200 militaires que l’armée ne peut pas engager à l’étranger. Déjà peu performante au niveau budgétaire en plus d’un matériel qui ne sera pas renouvelé avant l’horizon 20-30, la Défense belge reste crédible au niveau de sa contribution qui reste de qualité mais en baisse. Vigilant Guardian pourrait lui faire perdre cette crédibilité si elle venait à durer encore plus longtemps. La situation ne laisse pas insensible les Américains qui ont fait entendre au gouvernement belge par leur ambassadeur que la Belgique pourrait faire plus si elle retirait ses militaires des rues. Malgré cette marge de manœuvre réduite, l’armée belge réussit toujours à déployer en moyenne entre 400 et 700 militaires à l’étranger.

Pour la Défense, il est urgent que la Belgique se dote d’une stratégie globale qui concerne toute la société et pas que les services de sécurité uniquement pour faire face à la menace terroriste.  C’est une culture de responsabilité individuelle à développer avec chaque citoyen à l’exemple de ce qui a pu se passer récemment à Londres avec l’intervention de citoyens pour maîtriser un terroriste. La Belgique saura-t-elle anticiper et faire face aux défis de demain ? En 2000, elle a décidé de supprimer la gendarmerie via une réforme des polices qui a montré ses limites. Faute d’un corps de sécurité intermédiaire, la Belgique a décidé dans l’urgence de déployer les militaires pour des missions de police. On connaît la suite.

3 commentaires

  1. En tant que citoyen je me rends bien compte de a situation de l » Armée dans cette opération  » Vigil. guard  » mais son rôle n’est-il pas également de protéger la population Belge sur son propre terrain National et peut-être même prioritairement avant les opérations à l’ étranger . Précédemment avant cette Armée de  » métier  » ns. disposions d’ effectifs qu’on appelait  » FORCES de l ‘ Intérieur  » dont la//les missions étaient justement de s’occuper avant tout du Pays. Quant à invoquer un manque de préparation à ce genre de mission permettez moi mon étonnement car il vous appartient d’être prêt aussi bien pour des missions dans le pays (Be) qu’à l’ étranger ; j’irais même jusqu’à dire que c’est en Belgique qu’il appartient à l’ Armée d’assurer en 1er. lieu la protection de tous ses citoyens lorsqu’ils sont attaqués comme en 2016 par des forces extérieurs . Enfin , il appartient au Commandement de la  » Défense Be.  » à établir les règles d’ engagement et de déploiement et non au Politique c’est bien là que le bas blesse et là je suis d’accord avec les doléances exprimées par le Commandant C. GILLIS .

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