Le Plan STAR, une véritable délivrance ! Et demain ?

Pour le professeur Wally Struys, le plan STAR de la ministre Ludivine Dedonder devra aller encore plus loin durant la prochaine décennie (crédit-photo Vincent Bordignon/BE Défense)

Une carte blanche de Wally Struys, économiste de Défense et professeur émérite à l’École royale militaire.

Après des décennies de disette …

La Belgique a commencé à relâcher son effort financier pour la Défense longtemps avant la fin de la Guerre froide, dès 1983 même. Entre 1981 et 2019, le pouvoir d’achat du budget belge de la Défense a ainsi chu de 2,39 milliards d’euros, pratiquement la valeur d’un budget annuel !

Après la fin de la Guerre froide, il y eut une ruée sur les soi-disant dividendes de la paix (en fait, il n’y eut ni dividende, ni paix !). Le désinvestissement dans la défense s’est accéléré par un gel des budgets décidé en 1992 sous l’impulsion du ministre Delcroix ; prévu pour durer cinq ans, il ne s’est terminé finalement qu’en 1999. Les augmentations timides subséquentes n’ont toutefois pas permis d’inverser la tendance trend des diminutions du pouvoir d’achat.

Au fil des années, notre pays a en effet accordé de moins en moins de priorité à la Défense, au point qu’en 2020 (selon les dernières statistiques disponibles), elle ne bénéficiât plus que de 1,53 % du total des dépenses publiques, tous pouvoirs confondus, du fédéral au local.

Si nous prenons en compte un critère prisé par certains dirigeants au sein de l’OTAN, à savoir les dépenses de défense par rapport au Produit Intérieur Brut, qui permet d’effectuer des comparaisons avec les autres alliés, on constate que le rapport était de 1,12 % en 2021, nettement au-dessous de la moyenne européenne (1,79 %), alors que ce ratio belge était encore de … 3,3 % en 1983 ! Le fond avait été atteint en 2017, avec seulement 0,88 % …

La guerre éclair d’août 2008 entre la Russie et la Géorgie, aboutissant à la reconnaissance de l’indépendance de l’Ossétie du Sud par Moscou, avait relativement peu suscité d’émoi à l’Ouest.

Par contre, l’annexion de la Crimée par la Russie et la guerre dans le Donbass en mars 2014 ont conduit la majorité des pays européens à renforcer leur défense et son financement. Devenus conscients des menaces de plus en plus pressantes sur leur flanc est, ce sont surtout les pays nordiques neutres et les anciennes républiques soviétiques devenues membres de l’OTAN et de l’UE qui ont effectué ce pas. La Belgique était l’un des rares pays à ne pas avoir suivi cette tendance, qui allait s’avérer très rapidement lourde.

Afghanistan, Ukraine, ces récents dossiers ont montré la nécessité d’avoir une Défense efficiente capable de vite se projeter pour évacuer ses ressortissants ou bien pour venir renforcer ses Alliés (crédit-photo BE Défense)

… voici le nouveau paradigme du Plan STAR et de la Loi de Programmation militaire (LPM)

Après un premier frémissement budgétaire en 2018 avec les premières décisions d’acquisition de matériels majeurs, le Plan STAR (Security, Technology, Ambition, Resilience) de la ministre Ludivine Dedonder a spectaculairement rompu avec de longues années de disette. Le budget de la Défense belge passera en effet de 4,3 milliards d’euros en 2022 à 6,9 milliards d’euros en 2030 !

Approuvé par le Conseil des ministres le 28 janvier 2022, ce plan stratégique, par définition, vise le long terme dans d’autres domaines que le purement financier. Il ambitionne également une trajectoire de croissance dans le domaine du personnel (29.000 membres du personnel en 2030), l’opérationnalité externe et interne, les capacités duales (civiles-militaires) et la complémentarité inter- et extra-départementale. Toutes les Composantes bénéficieront du Plan STAR ; une Composante Cyber sera créée, sans doute dès 2022. La Défense est enfin revalorisée !

La LPM a été approuvée par le Conseil des ministres du 25 février, soit le lendemain du début de l’invasion de l’Ukraine. Elle confirme les commandes de matériels majeurs réalisées depuis 2018. En sus des investissements déjà prévus de 9, 2 milliards d’euros, un nouvel effort de 10,3 milliards d’euros sera réalisé.

La politique de la ministre Dedonder s’y focalise sur une « triple hélice » Défense, Industrie, Recherche, devant aboutir à des retombées en termes de valeurs ajoutées économiques et d’emplois de haute technologie qui permettront un renforcement de la base technologique et industrielle de la défense.

La nécessité d’un suivi dans la durée

Approuvé le 28 janvier 2022, le Plan STAR aura en principe une période d’exécution jusqu’en 2030, tout en prévoyant un trajet jusqu’en 2035. Je ne peux que féliciter la ministre Ludivine Dedonder pour avoir réalisé ce spectaculaire retournement de situation après tant de décennies d’une politique de défense qui finissait de plus en plus par s’apparenter à un véritable renoncement …

Mais ne nous leurrons pas : si le Plan STAR va effectivement permettre à la défense belge d’augmenter ses capacités de façon spectaculaire, il nous permet « seulement » de rattraper les capacités perdues !

À court et moyen terme, les nouvelles contraintes sécuritaires qui ont chamboulé la géopolitique européenne imposent d’être plus ambitieux et d’aller au-delà. Un premier pas, aisé à exécuter, serait déjà d’honorer les propositions initiales de la ministre Dedonder non retenues le janvier (une troisième frégate, des hélicoptères lourds, des moyens supplémentaires pour le Génie, des dépenses de défense de 1,6 % par rapport au PIB…).

Au-delà, il sera utile, voire indispensable, de persévérer et de prévoir sans tarder pour la décennie suivante un Plan STAR PLUS afin de ne pas perdre le nouvel acquis, tremplin pour une armée opérationnelle, résiliente, crédible et fiable dans la durée.

La Belgique devra en outre assumer son standing de pays hôte de l’OTAN et de l’UE ; elle devra pérenniser sa stature sécuritaire en assumant sa solidarité avec ses alliés de l’OTAN et de l’UE, qui va se doter d’une « boussole stratégique » en matière de défense et sécurité. Cette nécessité est, faut-il le souligner, de plus en plus prégnante depuis l’invasion de l’Ukraine, l’objectif étant de développer des capacités de défense et de sécurité internes, mais également celui de se projeter à l’extérieur.

Ces deux dernières années, la Défense a accéléré le remplacement de l’armement et de l’équipement individuels. Des anciens FN FNC ont été livrés à l’Ukraine. (crédit-photo Adrien Muylaert/BE Défense)

Les contraintes de demain

Au fil des années, des décideurs politiques ont précipité la Défense dans les tréfonds des priorités de l’État belge. Paradoxalement, d’aucuns critiquent aujourd’hui l’incapacité de l’armée à envoyer davantage d’armes et de munitions au peuple ukrainien agressé.

D’autres ont considéré que la constitution de stocks « de guerre » correspond à de la « mauvaise » gestion de stocks, puisqu’on les met au rebut après un certain temps, soit pour des raisons d’usure, soit d’obsolescence. Auraient-ils préféré avoir « l’occasion » de les utiliser ? L’essentiel d’une Défense véritablement dissuasive, n’est-il pas de préparer le personnel et le matériel dans l’espoir de ne jamais s’en servir ? En outre, un investissement dans la sécurité et la paix n’est pas censé produire ni profits, ni dividendes !

Enfin, il convient de pas ne se méprendre : les contraintes anciennes utilisées comme alibi pour justifier les économies à la Défense, n’ont pas disparu, que du contraire !

Tôt ou tard, la suspension du Plan de Stabilité et de Croissance européen prendra fin et les mesure de contrôle des finances publiques, les contraintes budgétaires, voire l’austérité reprendront force et vigueur. Les tourments de la guerre en Ukraine, suivis des conséquences directes et indirectes des sanctions économiques et de leurs représailles, ne faciliteront pas non plus la gestion des affaires publiques.

À terme, faudra-t-il craindre le retour d’une certaine méconnaissance, voire d’un mépris vis-à-vis de la Défense, ce bien public abstrait, qui devient concret – et donc apprécié –que quand il est trop tard ?

Les réalités géopolitiques nous imposent de cesser de considérer le budget de la Défense comme une variable discrète d’ajustement des finances publiques nationales, mais comme l’implémentation financière d’une volonté et d’un courage politiques !

Wally Struys

Économiste de Défense

Professeur émérite à l’École royale militaire

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