Le bataillon 1/3 Lanciers en Roumanie: les dessous d’une semaine exceptionnelle de mobilisation

La Roumanie est une expérience formidable pour le 1/3 Lanciers (crédit-photo IPR 1/3 Lanciers)

Le bataillon 1/3 Lanciers en Roumanie: les dessous d’une semaine exceptionnelle de mobilisation.

Après une période de préparation d’un an en 2021, le bataillon 1/3 Lanciers faisait partie de la VJTF de la force de réaction rapide de l’OTAN depuis le début de l’année 2022 avec un déploiement en court préavis. L’invasion de l’Ukraine par la Russie le 24 février va entraîner son activation pour la première fois depuis sa création. De secondaire, les Lanciers vont passer au premier plan avec une mobilisation intense de tout le bataillon pour permettre ce déploiement. Histoire d’une semaine exceptionnelle de mobilisation.

C’est l’escadron B qui fournit les troupes des Lanciers (crédit-photo IPR 1/3 Lanciers)

Une activation très rapide à la veille d’un week-end

Avant février, le chef de corps nous confie avoir déjà préparé une première fois la montée en puissance du bataillon et son activation en novembre et début décembre. « Nous avions des remontées de notre branche 2 renseignement. En février cela a été la même chose. Quand l’invasion s’est produite, la question n’était pas de savoir si nous allions être activés mais quand. », constate le lieutenant-colonel Didier Plas. On se trouvait à la veille d’un week-end et des congés de carnaval. Alors fallait-il retenir les gens en alerte ou bien les laisser partir et les rappeler ensuite ? Le dilemme s’est posé. Le bataillon a été très vite activé le vendredi soir. L’état-major s’est retrouvé au camp le lendemain le samedi 26 février. Le commandant en second du bataillon et l’officier logistique, l’adjudant-major Clerfays, ont de leur côté rejoint Bruxelles pour intégrer l’antenne du déploiement au sein de l’état-major de la Défense à Evere. Le dimanche à 8H du matin, la plus grande partie du bataillon se trouvait à Marche-en-Famenne. Démarrait un compte-à-rebours d’une semaine d’intense préparation pour permettre ce déploiement dans les conditions optimales.

Le plus difficile a été d’avoir des véhicules disponibles (crédit-photo IPR 1/3 Lanciers)

Une difficulté de disponibilité de pièces pour réparer les véhicules

« Notre bataillon est passé d’une priorité 1.000 à une priorité une en 24H au sein de la Défense », analyse le commandant du 1/3 Lanciers. L’une des priorités a été de trouver le matériel. « Il y avait d’abord l’équipement du personnel à savoir la tenue d’hiver pour la Roumanie. En armement, nous avions tout mais on manquait de vision nocturne. C’était pareil pour la protection CBRN car il n’était pas question d’envoyer nos gens là-bas sans avec le risque nucléaire. On a cherché du matériel dans les autres unités. Le plus gros problème a été la réparation des derniers véhicules », explique l’adjudant-major Clerfays. Le bataillon sortait d’une période d’exercice à la fin de l’année. Les véhicules se trouvaient alors en maintenance. Alors que d’habitude un déploiement se prépare en un mois et demi, les mécaniciens du bataillon et des autres unités logistiques, notamment le 4ème bataillon logistique, ont eu moins de 10 jours pour rendre les véhicules opérationnels. Le bataillon manquait de pièces pour effectuer les réparations. « La gestion des pièces est centralisée par la DGMR. La mission au Mali était à ce moment-là prioritaire avant son annulation et les pièces leur étaient réservées. Il était compliqué d’avoir des pièces pour deux missions. A partir du moment où nous avons été activés, nous sommes devenus prioritaires et nous avons pu avoir les pièces mais il fallait faire les réparations », analyse-t-il. L’état-major de la Défense est déjà en train de tirer les premiers enseignements et de modifier la méthode de travail avec plus de matériel et de ressources disponibles. 80% des véhicules du bataillon se trouvent actuellement en Roumanie. Le bataillon Libération-5 de Ligne de Bourg-Léopold a fourni trois véhicules qui sont arrivés au camp le lundi 28 février.

La planification du déploiement s’est faite dans l’urgence (crédit-photo IPR 1/3 Lanciers)

Une planification de déploiement sans précédent

« La planification pour un tel déploiement, on n’avait jamais fait ça avant. C’était une première fois. J’ai travaillé à la Brigade Légère par le passé. J’ai repris la méthode de travail de préparation logistique du Special Operations Regiment », explique l’adjudant-major Clerfays. La salle de réunion du bataillon servait de salle de planification avec un grand tableau rempli de post-it, une idée du capitaine Nicomède l’officier opérations et entraînement du 1/3 Lanciers en l’absence de son collègue. « Un post-it s’enlève et se met plus facilement. Chaque couleur avait son code. Le bleu par exemple, c’était pour la logistique », précise-t-il. L’officier avait pour rôle d’organiser tout le planning avec l’aspect training : chercher des moyens radios, faire les programmes, envoyer le personnel déployé au contrôle médical obligatoire avant chaque départ de mission etc… « C’est moi qui faisais la synthèse entre toutes les unités et donnais les briefings. Mais avant tout, cela démarrait de la logistique : qui, quoi et comment. C’est elle qui impose tous les autres créneaux », détaille le capitaine Nicomède qui ne dormait que trois heures par jour au camp au début de la mise en place de la mission. Tout le personnel a d’ailleurs été rassemblé dans le grand hall de sport afin d’avoir les gens sous la main pour les briefings.

Les véhicules sont partis par la route avec un transporteur civil (crédit-photo Vincent Bordignon)

Le défi de la mobilité

Le camp Roi Albert s’était transformé en une véritable ruche. « Notre place d’armes était remplie de véhicules et de containers. Tout le bataillon était en synergie. Il y a plein de petites mains qui sont venues aider », raconte le lieutenant-colonel Didier Plas. La visite de la ministre Ludivine Dedonder et de la presse le 1er mars a obligé le bataillon à geler les préparatifs durant quelques heures. Si les militaires ont rejoint la Roumanie par avion en deux temps, la trentaine de véhicules est partie par la route. La Défense n’ayant pas assez de véhicules transporteurs, elle a un contrat avec une société civile qui a donc dû être aussi mobilisée en urgence. De ce fait, le déploiement a été aussi un très gros défi pour le Movement Control Group (MCG) qui a fait une reconnaissance d’itinéraire avec des passages aux frontières. Le convoi a passé au moins trois pays dont l’Allemagne, la Tchéquie et la Roumanie d’où la nécessité d’obtenir des autorisations. Le retour se fera par train. Ce n’est pas pour rien que la mobilité européenne est un défi important afin de faciliter un déploiement d’urgence.  L’OTAN pourrait avoir les mêmes problèmes logistiques que la Russie.

La mission a pris la tournure de l’opération enfanced Forward Presence avec des entraînements communs entre nations alliées (crédit-photo IPR 1/3 Lanciers)

Un départ en opération vers l’inconnu

Pour près de 85% des Lanciers, il s’agissait de leur première opération. « Il y avait un sentiment mitigé entre l’excitation et l’inconnu de la situation sur le terrain. On pensait au départ que notre mission principale serait de préparer des positions défensives. Cela n’a pas eu lieu. Les Roumains étaient prudents et ne voulaient pas donner l’impression de provoquer la Russie. Finalement on a plus été sur de la dissuasion avec des entraînements en commun comme ce qui se fait dans les Pays Baltes », explique le lieutenant-colonel Didier Plas. Contrairement à certaines rumeurs, qui nous étaient également parvenues, il n’y a eu aucun refus. Les seuls, qui ne sont pas partis, sont ceux qui n’avaient pas été vaccinés contre la covid-19 ce qui est obligatoire pour partir en opération. Avant cette activation, les militaires belges et français n’ont pas pu s’entraîner ensemble. « Un exercice était prévu en mars qui préparait justement une activation de la VJTF. Le gros problème du côté des Français, c’est qu’il y avait trois unités prévues tour à tour donc c’était difficile d’effectuer des exercices communs. L’unité française à ce moment-là venait de reprendre le rôle il y a deux semaines et était rentrée du Mali en décembre. Il nous aurait été impossible de faire une préparation commune », constate le capitaine Nicomède. Quant au détachement médical belge, qui avait fait toute la préparation VJTF, il avait été déclaré non-opérationnel lors de l’exercice final de certification (Certex). C’est celui, qui aurait dû partir au Mali, qui a donc pris le relais.

Des journées info familles ont été organisées pour donner un aperçu de la vie du détachement sur place (crédit-photo Adrien Muylaert/BE Défense)

Les conditions de vie du détachement

Dès le 2 mars, le bataillon organisait une journée info familles avec les informations dont il disposait à savoir que la mission allait durer entre 3 et 6 mois. « D’habitude, les gens ont plus de temps pour préparer leur départ et s’organiser avec leurs familles », explique le commandant du bataillon. Au début du mois de mai, le lieutenant-colonel Didier Plas s’est d’ailleurs rendu en personne une semaine sur le terrain pour prendre la température. « Les tentes sont juste à côté de la piste de la base aérienne donc il y a le bruit incessant des avions même la nuit. Nos militaires peuvent profiter de la salle de sport des Américains. Mais les rations ne sont pas très bonnes et répétitives », résume-t-il. Une deuxième journée info familles s’est tenue le 15 mai avec la présence de la ministre Ludivine Dedonder. Une date de retour a pu être communiquée aux familles à savoir que les militaires rentreraient en Belgique en juillet. La mission aura duré quatre mois, soit la moyenne d’un déploiement militaire belge à l’étranger. Le plus dur aura été le départ très précipité sans possibilité de préparation et la difficulté de communiquer avec ses proches. Pour des raisons de sécurité évidentes au vu du contexte, les militaires du détachement n’ont pas leur GSM personnel. Seul le personnel-clé d’état-major a un GSM de service sécurisé. La communication se fait uniquement via un wi-fi sécurisé.

Alors que chaque détachement part normalement avec 30 jours de ravitaillement (munitions, nourriture et carburant), il est parti cette fois-ci avec seulement 7 jours au vu délai très court de mobilisation. Les Lanciers se sont ravitaillés en carburant sur place. Durant tout le déploiement, le ravitaillement s’effectue soit par avion avec un A400M ou par la route comme cela a été le cas le 9 mai. En moyenne, il y a un avion tous les quinze jours.

Les militaires belges seront remplacés en Roumanie par les Néerlandais. Les Lanciers retourneront en Roumanie dans un an avec une préparation plus sereine. L’expérience reste toutefois incroyable avec une mobilisation sans précédent dans un délai très court comme avait déjà dû le faire le 2 Commandos pour l’opération Red Kite en Afghanistan pour une mission à haut-risque mais sans les véhicules.

Quelques chiffres-clé logistique

3 personnes au sein de la cellule logistique de l’état-major

31 fonctions logistiques pour chaque escadron dont 2 mécaniciens, un armurier et 4 gestionnaires de matériel (nourriture, carburant)

180 personnes dans une compagnie d’un bataillon logistique

La dernière partie de notre reportage est à retrouver demain sur notre site.

11 commentaires

  1. « Passer 3 pays : Allemagne, Tchèquie et Roumanie  » … petit problème de géographie… entre la Tchèquie et la Roumanie il y a la Slovaquie et la Hongrie…

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  2. Question à Marie-Madeleine Courtial

    Les Piranha DF90 de l’armée belge ont-ils prouver une efficacité sur les chars en général et les chars russes en particulier auxquels les 1/3/lanciers pourraient être confronté en étant en Roumanie?

    Votre article du 6 mars 2020 intitulé : « Pourquoi les Piranha DF 90 de l’armée belge ne tirent pas des munitions anti-char est des plus inquiétants à ce sujet.
    Le général-major Debaene dit le 19 février à la commission militaire de la chambre que le Piranha était destiné à être incorporé dans une brigade médiane et pas destiné à combattre des chars. Croit-on que Poutine va demander une autorisation à l’armée belge avant d’engager des chars contre nos soldats?
    On y apprend qu’un seul tir avec un obus flèche anti-char à été effectué avec le DF 90 et s’est soldé par une usure du canon insupportable par les faibles capacités de maintenance de l’armée belge (général-major Marc Thijs qui décide de ne plus jamais tirer d’obus flèche avec ce canon).
    Cette inquiétude est renforcée par le cahier des charges du Mowag Piranha DF90. On peut y lire:
    « Le rôle principal de ce système d’artillerie belge est de soutenir l’infanterie. Il est efficace contre les véhicules légèrement blindés et à peau douce. Il peut également engager des bâtiments et des fortifications. Cependant, il n’est pas efficace contre les chars de combat principaux modernes. Le canon de 90 mm n’a pas la puissance de feu adéquate pour cette mission. Il convient de noter que la plupart des autres pays déploient des véhicules d’appui-feu, armés de canons plus puissants de 105 mm ou 120 mm. Ces canons plus lourds ne pourraient pas convenir au châssis Piranha IIIC 8×8, en raison de leur recul violent. Le plus petit canon de 90 mm a donc été sélectionné ».

    Si tout cela est confirmé, cela voudrait dire qu’ en cas de confrontation avec des chars russes , nos gars n’auraient aucune chance et leur mission consisterait à être envoyé à la mort. Mission suicide sans effet sur le champ de bataille.

    J’attends, Madame Courtial, votre réponse avec le plus grand intérêt.
    Merci d’avance.

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    • Bonjour,
      Les Piranha ne sont pas des chars et n’ont pas vocation en soi à les affronter. La seule arme antichar de la Défense belge est le missile Spike. Toutefois, la Belgique n’affronterait pas seule la Russie en cas de confrontation hypothétique. Il y a d’autres pays européens de l’OTAN, qui ont des chars, et notamment la France qui est déployée aux côtés des militaires belges en Roumanie. On ne peut pas résumer à « mission suicide ». Ce serait le cas si la Belgique était seule. Elle va également recevoir quelques canons Caesar mais qui n’arriveront pas tout de suite. Mais évidemment que la puissance de feu belge est faible. Cela reste du domaine de décision politique.

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      • Moi, je trouve cela grave. Si nos ministres avaient été légèrement intelligents, ils auraient pris les véhicules avec un canon de 105 qui leur étaient proposés. En plus, comme le 90mm n’est pas un standard Otan, il tomberait vite à cours de minution en cas de conflit car les autres pays ne pourrait leur en fournir et en plus c’est une production marginale par rapport aux chaînes de production.

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      • Encore une autre chose. On a liquidé nos chars Leopard avec un canon de 105 pour des Piranha DF 90 qui doivent recevoir l’assistance des AMX10 français (Chasseurs alpins) qui sont aussi des blindés à roue comme les Piranha mais équipés d’un 105 .C’est cette petite différence de calibre qui les rend opérationnels. Nos blindés ne sont donc pas autonomes sur le champ de bataille, ils devraient pleurer après les AMX 10 français en cas d’attaque de chars russes.
        C’est incontestablement une faiblesse qui se traduirait pas des pertes supplementaires.
        De plus, passer de 350 Léopard à 18 Piranha DF 90 , c’est pas un dégraissage, c’est carrément un dépecage de l’armée. C’est de la folie.
        Vous parler des missiles Spike. On pourrait penser que les ministres de la Défence étaient dirigé par une certaine logique, que s’ils ne croyaient plus aux chars parce qu’ils pensaient que les chars étaient devenus trop vulnérables aux missiles. Dans ce cas on pourrait penser qu’ on aurait acheté au moins 2000 Spike.Mais non. Vous savez combien il y en a dans l’armée belge? A peine 180 pour 60 postes de tirs. Donc quand le servant a tiré ses 3 missiles , il y a plus et il peut rentrer chez lui. Si on fait mouche à tous les coups , on peut faire sauter au maximum 180 chars. La Russie en a 12000. No comment!
        Voilà pourquoi on parle d’armée d’opérette au sujet de l’armée belge et que pratiquement plus personne ne la considère comme crédible au sein de l’OTAN.

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  3. Article intéressant, merci .
    80% des véhicules du bataillon se retrouvent en Roumanie pour équiper et soutenir un seul escadron, on devrait être à +/- 35%, non ? Résultat funeste du sinistre concept « minimum suffisant » de Mr A. Flahaut
    Pour rappel, Mr Flahaut avait commandé 132 véhicules sur un besoin de 242 blindés toutes versions comprises (Fus, génie, recovery…)

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    • Le minimum suffisant , ce n’est pas le ministre de la Défense qui le determine, c’est le sort de la bataille et les pertes.
      Il a eu bien de la chance celui-là qu’il n’y a pas eu de conflit pendant ces mandats, il aurait eu l’occasion d’expliquer son concept de « minimum suffisant  » aux mères de soldats tués.
      Un ami de l’armée belge.

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