Focus sur les chiffres de l’attrition, les raisons des départs et les pistes d’amélioration au sein de la Défense

L’attrition est un problème bien connu au sein de la Défense qui revient régulièrement (crédit-photo Vincent Bordignon/BE Défense)

Focus sur les chiffres de l’attrition, les raisons des départs et les pistes d’amélioration au sein de la Défense.

L’attrition est un phénomène important au sein de la Défense. Il y est souvent fait allusion sans vraiment avoir des données de grandeur, les raisons et les actions de la Défense pour y faire face. C’est d’autant plus important que la ministre Ludivine Dedonder souhaite recruter 10.000 militaires durant sa législature. En janvier 2020, le lieutenant-général Jan Hennes, alors directeur général Human Ressources de la Défense (DG HR) et aujourd’hui pensionné, avait présenté un plan « Ressources humaines » pour 2030 afin de faire face aux défis du personnel au sein du département. Si depuis ce plan n’a jamais été à nouveau évoqué avec un quelconque suivi, la ministre Ludivine Dedonder a lancé le plan POP (People are priority) en février 2021 afin de faire face aux problèmes de recrutement et de conservation du personnel. Pour redresser la barre, elle a axé sa politique autour de trois plans: le plan POP pour le personnel, le plan des quartiers afin d’obtenir un meilleur équilibre géographique et le plan STAR dans le domaine du matériel et des capacités.

Le lieutenant-général Jean-Paul Claeys et le général-major Jean-Marie Nulmans ont fait le point sur l’attrition au sein de la Défense devant les députés

A la demande des députés, une réunion de la commission de la Défense a eu lieu sur le recrutement et l’attrition au sein de la Défense le 5 octobre dernier. En plus de la ministre Ludivine Dedonder, le lieutenant-général Jean-Paul Claeys, chef de la DG HR, et le général-major Jean-Marie Nulmans, responsable de la gestion du personnel au sein de la DG HR, ont été auditionnés. Cette audition s’est révélée extrêmement riche d’enseignements.

Le lieutenant-général Jean-Paul Claeys a d’abord expliqué qu’il y avait deux sortes d’attrition au sein de la Défense: l’attrition de formation qui concerne les candidats qui partent durant la procédure de recrutement avant le début de leur carrière et l’attrition de carrière qui peut être un départ pour la pension, pour inaptitude physique, pour démission ou à cause de décès.

Les candidats sont là mais l’objectif est de les garder (crédit-photo IPR ERSO Saffraanberg)

Des chiffres d’attrition pour l’année 2021

Des chiffres ont été donnés sur l’attrition de formation pour l’année 2021. Sur les 8.250 postulants, il y a eu 2.800 incorporations au total: 1.420 volontaires, 1.026 sous-officiers et 351 officiers. Le lieutenant-général Jean-Paul Claeys a précisé que 31 volontaires avaient changé durant leur cursus et ont intégré l’Ecole Royale des Sous-Officiers (ERSO) à la rentrée. C’est également le cas pour un sous-officier qui finalement a fait le choix de l’Ecole Royale Militaire (ERM). Pour l’attrition de carrière de l’année dernière, le chef de la DG HR a indiqué qu’il y avait eu 1.524 pensionnés, 110 départs pour inaptitude physique, 13 pensionnés sur demande, 26 décès, 248 démissions sur demande et 1.235 candidats. En 2021, il y a eu 2.798 incorporations pour 3.186 départs. Si le solde est encore négatif, il a précisé que le pic des départs à la pension était passé.

Beaucoup de recrues, surtout chez les volontaires, quittent la Défense durant les premiers mois (crédit-photo Vincent Bordignon/BE Défense)

49,9% des volontaires quittent la Défense 40 mois après leur arrivée

Le général-major Jean-Paul Nulmans est revenu plus en détails sur l’attrition de formation. Entre janvier 2016 et décembre 2021, 49,9% des volontaires ont quitté la Défense 40 mois après leur postulation. Pendant le premier mois, pratiquement 10% des volontaires sont partis. Après un an, l’attrition est de 30,5% pour les volontaires, 20,4% pour les sous-officiers et 13,8% pour les officiers. Au fur et à mesure que le temps passe, cela se nivelle quelque peu vers l’attrition de carrière qui est de l’ordre de 1% par an. La situation est un peu différente pour les officiers avec un saut après 12 mois puisqu’il s’agit d’une formation académique comme cela serait le cas dans une université civile avec une réussite ou pas lors des examens. Entre 2016 et 2021, les incorporations ont presque triplé passant de 133 à 351. Il y a un délai puisque la formation d’un officier dure en moyenne entre quatre et cinq ans. Le nombre continue à augmenter car en 2021, il y a eu plus d’incorporations. La plupart des départs se sont fait à la demande de l’intéressé en 2021. Douze sont partis pour inaptitude médicale. Il y a aussi la possibilité de demander une réorientation. L’attrition pour les officiers oscille autour de 6-7%.

La pandémie a eu un lourd impact sur les formations en 2020 (crédit-photo Luc Velaerts/BE Défense)

Les chiffres de l’attrition 2020 se sont décalées à 2021 à cause de la pandémie

Pour la même période, les incorporations ont aussi triplé pour les sous-officiers passant de 371 à 1.026. En 2021, la Défense a proposé une double incorporation en mars-avril et septembre-octobre. Les infrastructures de l’ERSO permettent d’avoir 500 à 600 élèves en formation en même temps. Cette double incorporation aura des effets sur le chiffre de l’attrition puisque la période d’attrition sera plus longue. Un peu moins de 400 sous-officiers ont quitté la Défense en 2021. Le chiffre de 2020 est inférieur à 2019 malgré le fait qu’il y avait davantage de candidats. Cela s’explique en partie par la pandémie covid-19 et les confinements qui ont retardé certaines formations. Une partie de l’attrition de 2020 est passée à 2021.

Pour les volontaires, on est passé de 459 à 1.421 incorporations. La situation a été faussée aussi en 2020 puisque les incorporations ont été suspendues de mars à septembre 2020 à cause du confinement. 75% des volontaires ont été incorporés au mois de novembre et de décembre cette année-là.

Les stages de jeunes, qui ont différentes catégories, doivent permettre de donner un aperçu de la vie militaire (crédit-photo Vincent Bordignon/BE Défense)

La difficulté d’adaptation à la vie militaire, une raison fréquente du départ des candidats

La DG HR a identifié plusieurs problèmes pour les départs. Chaque candidat passe une interview de sortie qui a été suspendue au début de la pandémie. Ces interviews ont repris le 1er janvier 2022.« Il ressort de l’analyse des interviews de la dernière période que les raisons de départ sont toujours les mêmes et peuvent être résumées sous un même dénominateur commun à savoir l’adaptation à l’environnement militaire, la vie en groupe, le régime d’internat et la vie très structurée au sein des casernes », a expliqué le général-major Jean-Paul Nulmans. C’est pourquoi la Défense essaye de permettre aux jeunes de mieux se rendre compte de ce qui les attend avant leur incorporation à travers le programme d’études Sécurité et Défense, les différents stages qui s’adressent à différentes catégories, les jobdays ou bien des petites vidéos sur les différents canaux de communication.

Le militaire exercice un métier bien spécifique avec des conséquence sur la vie personnelle (crédit-photo BE Défense)

Des raisons multiples pour l’attrition de carrière

Les raisons sont différents pour ceux qui quittent la Défense plus tard durant leur carrière. Un grand nombre évoque des problèmes physiques, des blessures qui ne guérissent pas, une formation physique trop lourde pour certains ou pas assez pour d’autres. Des éléments personnels entrent aussi en ligne de compte: la distance entre le domicile et le travail, une raison qui revient régulièrement, la vie de famille avec des changements ou bien la pression des proches parfois. Certains ont également une autre attente du travail. Le dernier élément, qui se renforce ces derniers mois, est la formation. Pour former 3.000 personnes en même temps, il faut beaucoup de personnel. Cela fait que pour certaines professions, il y a un temps avant de rejoindre la prochaine session s’il y a une blessure. Certains estiment que leur phase de formation n’avance pas assez vite à cause de cette attente parfois longue.

Certains volontaires souhaitent parfois changer de métier au sein de la Défense (crédit-photo Adrien Muylaert/BE Défense)

La Défense a plusieurs pistes d’amélioration pour limiter l’attrition

Le lieutenant-général Jean-Paul Claeys a fait le point sur les actions entreprises pour remédier à ces départs. En premier point, il y a une plus grande flexibilité au sein de la Défense. Certains candidats sont réorientés sur demande. « Ils rentrent à la Défense avec une idée précise d’un métier. En cours de route, ils constatent qu’un autre métier leur conviendrait mieux. Jadis, on était très strict. Nous le sommes nettement moins maintenant. On permet ces réorientations au maximum quand c’est possible », a-t-il précisé. C’est vrai aussi pour l’échec. Des candidats peuvent recommencer leur formation à la session suivante. En 2021, il y a eu 533 réorientations sur demande et 94 suite à un échec sur une partie de la formation. Egalement, 548 candidats ont été rattachés à une session suivante. Ces chiffres restent importants selon le chef de la DG HR.

Le candidat pourrait choisir son métier plus tard durant la formation (crédit-photo
Jo Vanden Broeck/BE Défense)

Depuis mars 2022, les psychologues de l’armée, qui réalisent la sélection, retournent voir les candidats à deux reprises lors de sa formation initiale pour s’entretenir avec eux et voir comment se passe la formation, si c’est le bon choix et faire ensuite un feed-back. La Défense constate souvent un problème d’orientation et de choix du métier avec un décalage entre l’image et la réalité du terrain. Un projet est en cours de réflexion. Il permettrait aux candidats-volontaires de faire leur choix de métier plus tard durant la formation. Le recrutement se ferait sur base d’un métier générique. Mais cela nécessitera l’adaptation de la législation. La situation pourrait durer encore un petit peu de temps. Parmi les autres axes d’orientation, il y a une plus grande attention aux infrastructures. De nouveaux blocs sortent très vite à Saffraanberg. Il y aussi le projet de délocaliser une section de l’ERSO à Tournai. La répartition géographique aura également une incidence. La progressivité physique est un souci dans certains métiers. Chaque année, les programmes de formation sont évalués afin de savoir ce qu’il faut améliorer ou pas.

Les instructeurs ont un rôle très important pour faire face à l’attrition de formation (crédit-photo ERM)

La qualité de la formation reste cruciale

Le lieutenant-général Jean-Paul Claeys a accordé une plus grande partie sur la question de la formation et des formateurs. Un code de déontologie a été mis en place. Les cellules méthodologiques, qui accompagnent les instructeurs et veillent à la qualité de la formation, ont été renforcées. Une grande attention est portée sur le volet psycho-social. Cette question est d’autant plus sensible et importante que la presse avait révélé en septembre 2020 dix incidents de maltraitance par des instructeurs sur des recrues du centre d’entraînement des commandos de Marche-les-Dames entre 2015 et 2020. La Défense avait reconnu que les faits étaient avérés et qu’ils avaient fait l’objet d’une enquête interne. Il y a différents niveaux de formateurs: junior, instructor et master. Le sous-officier a forcément le niveau de base. Le niveau « instructor » se fait plus loin dans la formation continuée. Désormais, il a lieu juste avant que l’intéressé donne des cours. La mise en place de l’allocation pour les instructeurs est prévue pour 2024.

Via un questionnaire test-cases, la Défense cherche à limiter le taux d’échec des candidats paracommandos (crédit-photo BE Défense)

La Défense réfléchit également à étendre le questionnaire test-cases, qui a été mis en place au sein du Special Forces Group, à la formation de base pour limiter l’attrition. Ce questionnaire permet à la Défense d’amener candidats, qui veulent rejoindre les forces spéciales, au niveau demandé en optimisant leur préparation. Cette approche a été étendue au début de la carrière au centre d’entraînement des commandos de Marche-les-Dames. Des mesures sont faites sur les candidats au niveau du mental, de la préparation physique, de la gestion du stress ou de la masse musculaire comme cela se ferait pour un athlète. A l’aide de ces mesures, la Défense voit si le programme de formation doit être adapté. Des résultats probants ont déjà été constatés en adaptant la nutrition des candidats. Un suivi est également assuré par un psychologue. Avant de généraliser le questionnaire test-cases, la Défense doit voir dans quelle mesure il peut-être adapté à d’autres formations.

« L’attrition est un souci permanent pour la Défense. On a intérêt à ce que les recrues restent. L’effort se situe en amont pour les personnes qui souhaitent nous rejoindre », a conclu le lieutenant-général Jean-Paul Claeys. La Défense souhaite donner un aperçu du métier plus par le vécu que par des images. La qualité de la formation est aussi au centre de l’attention pour éviter les départs.

La ministre Ludivine Dedonder a indiqué qu’il était difficile d’augmenter le nombre de 2.500 militaires recrutés par an car il fallait jouer avec la capacité d’absorption et de formation. Elle s’est d’ailleurs fixé pour objectif de recruter davantage des civils, certains postes ne nécessitant pas forcément des militaires. Elle estime qu’il faudra encore deux à trois ans pour récupérer le niveau nécessaire. Selon la ministre, le fait qu’il y ait eu 8.000 postulants en 2021 est le signe qu’il y a un réel intérêt pour la Défense. Les campagnes de recrutement n’ont jamais été aussi fortes et les partenariats sont de plus en plus nombreux avec les entreprises.

9 commentaires

      • C’est avec grand plaisir. J’imagine la complexité de votre travail que j’apprécie énormément … … et qui me permet de lire des informations au sujet de la Défense (que j’ai quittée en 2012) que je ne trouve pas ailleurs … Bonne continuation.

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  1. Si je prends mon cas perso, il suffit de ne pas être ds. un bon grpe. , une mauvaise chambrée, un mauvais climat , une mutation acceptée a contrecœur par la hiérarchie qui se venge qd. même en vous l’accordant mais qui s’arrange par exple. si vs. étiez fantassin de vous muter chez les cavaloches ( c’est du V Q. )

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  2. En descendant les effectifs de l’armée sous la masse critique de 50000 hommes , les ministres de la défense successifs ont commis un acte quasi irréparable qui laissait sous-entendre qu’on souhaitait aller vers une suppression complète de l’armée.
    Le travail de sape régulier pendant 30 ans, nous à conduit au chiffre inquiétant de moins de 25000 hommes , ce qui nous met au niveau d’un pays deux fois moins peuplé comme le Danemark. Bravo.
    La menace existentielle est plus que présente avec ce chiffre et pose la question du poids militaire d’une telle armée.
    Evidemment, démolir et foutre les gens à la porte est chose facile, reconstruire est une autre paire de manches et je vous souhaite bien du plaisir dans cette mission.
    Voyez vous, une armée de 25000 hommes , inquiète plus qu’elle ne rassure et le budget maintenu à 4,5 milliards/an en dit long. Tout cela n’incite pas les jeunes à s’engager dans une carrière militaire à long terme.
    Hier (20/11/2022), sur RTL-TVI dans son interview avec Pascal Vrebos, De Donder a fait sa petite publicité en annonçant qu’elle était parvenue à obtenir une augmentation du budget de 11 milliards pour l’armée, augmentation qu’elle qualifie d’historique. Mais il s’agissait d’une publicité trompeuse puisqu’il s’agit de 11 milliards étalés sur au moins 10 ans. Oui, on investit dans l’armée mais avec le frein à main largement tiré malgré des temps incertains. Elle aura au moins convaincu les plus naïfs qui ne font pas attention aux détails. N’aurait-elle pas dû en tant que femme forte comme elle dit, taper du poing sur la table pour obtenir le doublement du budget à 10 milliards pour l’année 2023. Encore faut-il que ce soit possible dans un gouvernement à 7 partis , à l’équilibre si fragile et plutôt préoccupé à entretenir une classe politique pléthorique.
    Le recrutement est d’autant plus laborieux que les exigences sont élévées à l’entrée et que les salaire sont 30% moins élévés que ceux de l’armée néerlandaise. On en est toujours à plus de sorties que d’entrées dans l’armée belge. Au train où ça va , et vu la réticence politique à débloquer des budgets, se pose l’inévitable question suivante : ne serait-il pas plus réaliste de supprimer purement et simplement l’armée et de louer un parapluie militaire américain?
    On y perdrait notre souveraineté certes , mais c’est le prix à payer quand on ne se met pas dans une telle situation de faiblesse, qu’on joue la carte pacifiste (écolos) et qu’on est pas capable donner le coup de barre nécessaire et vital.

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  3. La pseudo nouvelle armée belge n’est-elle pas en réalité le nouveau piège à rats pour les jeunes?On promet des formations (informatiques entre autres ), on promet un avenir professionnel garanti , on promet des budgets en hausse , on promet 2% du PIB à l’horizon 2035 comme on l’avait fait en 2014 pour 2024 , on promet , on promet avec des horizons et encore des horizons.
    Aux policiers aussi , on avait promis des augmentations et aux infirmières aussi et comme soeur Anne , ils n’ont rien vu venir car il n,’a plus de fric.
    La gros risque est que dès que la guerre russo-ukrainienne sera finie , nos grandes vedettes de politiciens s’empressent d’oublier toutes ses promesses et ses horizons pour rester à 1% du PIB.
    Et qui c’est qui seront alors les dindons de la farce?

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