Ce que contient le rapport de la Cour des comptes sur le contrat CaMo

Premier bataillon à être équipé des véhicules Griffon, le bataillon Libération-5 Ligne a découvert ses véhicules en février dernier (crédit-photo bataillon Libération-5 Ligne)

Ce que contient le rapport de la Cour des comptes sur le contrat CaMo.

Il y a un peu plus d’un mois, la divulgation de morceaux d’un futur rapport de la Cour des comptes sur le contrat CaMo entre la Belgique et la France avait fait les gros titres des deux côtés de la frontière. En général, la presse belge en a ressorti que le programme allait coûter dix plus fois cher que le prix de départ, une petite musique déjà entendu avec l’achat du F-35 en 2018. Pourtant à la lecture complète du rapport de 74 pages, qui est paru la semaine passée, on peut constater qu’il est plus nuancé que la lecture qui en avait été faite et qu’il est de qualité.

L’audit a été réalisé sur une période de moins d’un an entre septembre 2023 et novembre 2024. En plus des analyses des documents, des entretiens ont été réalisés avec de multiples acteurs impliqués tant du milieu de la Défense que du milieu de l’économie. Ils ont été complétés avec des visites de terrain au Quartier Général de la Défense à Evere et au Centre de Compétence du Matériel Roulant et Armement de Rocourt. Le projet de rapport a été envoyé en février de cette année au ministre de la Défense, au ministre de l’Économie, au chef de la Défense et au président du comité de direction du SPF Économie. Seul le chef de la Défense a envoyé ses réponses le 11 avril. Les autres n’ont pas répondu. Il est vrai que les nouveaux ministres n’avaient pas pris leur fonction depuis longtemps ce qui explique peut-être l’absence de réponses.

Des lacunes en matière des obligations envers l’OTAN

Le rapport englobe l’ensemble du contrat CaMo, à savoir le premier signé en 2019 et le deuxième signé en 2022 mais aussi sur les investissements de la Belgique en matière de Défense et ses obligations envers l’OTAN. Selon les demandes de l’OTAN, la Défense belge devrait être dotée de deux brigades (une médiane et une légère comme c’est le cas chez les voisins: les Pays-Bas). L’objectif n’est pas encore atteint selon l’OTAN. Le nouveau ministre Theo Francken a annoncé la création d’une deuxième brigade mais qui serait de fait créée par la scission en deux de l’actuelle Brigade Motorisée. « La Cour des comptes relève que la vision stratégique de 2016 et le plan Star de 2022 ne font pas état des lacunes en matière de capacité en référence aux objectifs de l’Otan pour la capacité motorisée, en particulier pour une brigade motorisée de type médiane », indique la synthèse du rapport. Toutefois la Cour des comptes valide le choix de ses dernières années de l’actualisation régulière d’une stratégie de Défense avec le recours à des experts externes et d’une loi de programmation militaire mise à jour.

Comment le choix a été fait

En rentrant dans les détails, le rapport de la Cour des comptes se penche sur le choix de la France pour le rééquipement de la capacité motorisée. La prospection a débuté en octobre 2016 par l’envoi d’une demande à 8 pays de l’OTAN: Allemagne, Espagne, États-Unis, France, Royaume-Uni, Italie, Pays-Bas et Pologne. Seuls cinq pays ont répondu: Allemagne, Espagne, France, Pays-Bas et Pologne. Suite à ces réponses, la Défense belge a finalement choisi la France pour des raisons opérationnels, techniques, financières et économiques. Pour la Cour des comptes, les avantages financiers mis en avant par la Défense n’ont pas été démontrés ou quantifiés. « L’analyse comparative d’un partenariat avec les autres pays a porté uniquement sur le coût d’acquisition et non sur l’ensemble des coûts du programme durant son cycle de vie », constate-t-elle. Pour la Défense belge, cette analyse n’était pas possible car les informations étaient confidentielles et que les pays refusent de les communiquer lors d’une prospection pour des raisons de confidentialité et de secret commercial. La Cour des comptes met en garde contre le risque de dépendance à l’égard du fournisseur industriel français. Mais ce risque vient du fait que la Belgique n’est pas en capacité de produire ses propres véhicules terrestres, une situation identique pour les avions de chasse. « Le risque de dépendance au fournisseur industriel français doit être relativisé, car la Défense belge est un partenaire important de la DGA française, qui dans ce cadre veille à préserver les intérêts belges vis-à-vis du fournisseur industriel », souligne la Défense dans sa réponse. Il faut aussi préciser que parmi les autres véhicules terrestres, qui vont se greffer au contrat CaMo, le VBAE sera développé conjointement entre les deux pays par exemple.

Absence du volet maintenance

Le point critique du rapport de la Cour des comptes porte sur le volet maintenance qui n’était pas prévue dans le contrat. On apprend que le 19 juillet 2024, le conseil des ministres a approuvé un projet de marché public pour conclure avec KNDS un contrat vertical pour la maintenance pour un coût total de 1.488 millions d’euros d’ici 2055 (programme de 30 ans). Ce montant comprend le budget pour la constitution d’un stock de pièces de rechange qui s’élève à 248 millions d’euros (à engager entre 2025 et 2028). Il comprend également un budget de fonctionnement de 1.240 millions d’euros pour des travaux de maintenance à effectuer par le fournisseur industriel sur l’ensemble de la durée de vie du matériel (2025- 2055), dont 51 millions d’euros pour les quatre premières années. Dans le compte-rendu du conseil des ministres du 19 juillet 2024, le marché est décrit sobrement: « le soutien du matériel CaMo ». Deux autres contrats verticaux doivent encore être conclus : pour le volet communication et technologie d’une part et pour le système d’armes d’autre part. Pour la Cour des comptes, l’absence des volets maintenance et fonctionnement accroit la dépendance vis-à-vis du fournisseur industriel français avec le risque d’une non-maitrise des coûts notamment sur l’achat de munitions et de pièces de rechange. « Étant donné que les prix pratiqués par le fournisseur industriel français auprès de l’armée française sont soumis au secret commercial, il ne sera pas possible de vérifier que des prix comparables seront appliqués pour les commandes belges », s’inquiète le rapport. Par exemple, les munitions du canon 40 mm utilisé sur les Jaguar ne sont pas produits par d’autres firmes.

Un projet d’outsourcing pour la maintenance des futurs véhicules

Parallèlement la Défense va également conclure un contrat de maintenance (contrat horizontal) avec un consortium belge d’industriels privés dans le cadre du projet Logistic Support for Land System (LS), approuvé par le conseil des ministres du 5 avril 2024. Comme le constate le rapport, la Composante Terre n’a plus suffisamment de militaires mécaniciens capables de faire les entretiens importants et les réparations lourdes. Ce projet s’apparente à un autre projet d’outsourcing comme cela avait été fait pour la distribution des vêtements avec Katoen Natie. Il sera réalisé sous la forme d’un partenariat public-privé du type Design, Build, Maintain and Operate (DBMO), la Défense devant payer une redevance de maintenance pour la partie opérationnelle pendant 30 ans. Ainsi le prestataire sera chargé des réparations et de l’entretien du matériel conformément aux exigences du fabricant. Mais le rapport indique qu’il y a une possibilité qu’on lui transfère la gestion des stocks de pièces de rechange, la préparation opérationnelle des véhicules de combat, la formation du personnel militaire et l’appui en opérations ou en exercices. Les activités seront concentrées à Rocourt, avec des antennes décentralisées à Bourg-Léopold et à Marche-en-Famenne. Le prestataire sera chargé de la conception et de la construction des nouvelles installations à Rocourt. Le projet est estimé à 689 millions d’euros sur 30 ans pour les missions de base et à 3 milliards d’euros pour le « potentiel de croissance ». Un consortium de trois entreprises belges a été choisi pour ce projet. Ils ont reçu un cahier des charges en octobre 2024 pour leur permettre d’introduire une offre.

Le canon Caesar fait partie du contrat CaMo 2 (crédit-photo Adrien Muylaert/BE Défense)

Un problème de budgétisation à venir ?

Concernant le coût global du programme, la Cour des comptes critique surtout le fait que le coût global du cycle de vie n’a pas été assez estimé à son lancement. En plus des volets maintenance et fonctionnement, les coûts liés au personnel et aux infrastructures n’ont pas aussi été estimés. Sur les 878 millions d’euros qui seront consacrés à la rénovation des infrastructures de la Composante Terre, seuls 386 millions d’euros sont directement liés au contrat CaMo. Les infrastructures de la Défense étant particulièrement vétustes, elles avaient de toute façon besoin de travaux. La difficulté de budgétiser s’explique aussi par les nombreux volets du contrat qui s’est ensuite étendu avec un CaMo 2. Le chiffre de 14,2 milliards d’euros, qui était sorti dans la presse, comprend ainsi l’achat du matériel, les coûts de fonctionnement, les frais d’infrastructures ainsi que la constitution d’un stock de munitions sur une période de 25 ans. « Le coût total devrait être plus élevé puisque les autres acquisitions prévues par le plan Star ne sont pas encore réalisées et que les coûts de fonctionnement pour ces investissements n’ont donc pas pu être estimés et pris en compte », précise-t-elle. La Cour des comptes s’inquiète plus particulièrement du financement du projet notamment par le fait que la trajectoire du 1,24% du PIB prévue par le plan STAR n’est pas encore atteint. « Si les budgets ne sont pas adaptés aux besoins réels, la Défense devra soit réduire d’autres dépenses pour faire face aux exigences du nouveau matériel, soit être amenée à sous-utiliser le matériel acquis », met-elle en garde. Pour elle, le risque est réel puisque selon l’analyse de la Défense, il manquerait 1.048 millions d’euros pour couvrir les besoins réels de 2025 à 2028 par rapport aux budgets prévus par le plan STAR pour la Composante Terre. La décision de porter le budget de la Défense à 2% du PIB réduirait ce risque sans totalement l’écarter.

La question sensible du contrat CaMo porte également sur les retours industriels et est la dernière thématique abordée par le rapoort. La Cour des comptes souligne qu’il n’y pas eu de clause contraignante mais seulement une lettre d’intention reprenant une liste d’activités qui pouvaient être transférées à la Belgique. Sur l’objectif fixé de 910 millions d’euros, 626 millions d’euros ont déjà été concrétisés. La Cour des comptes précise aussi que les nouveaux achats du contrat CaMo 2 n’ont pas été assortis de retours économiques. Cela pourrait bientôt changer. En visite à KNDS France la semaine dernière, le ministre de la Défense Theo Francken a annoncé avec son homologue français Sébastien Lecornu la signature d’un nouvel accord intergouvernemental renforcé et d’un CaMo 3.

4 commentaires

  1. Merci pour la complétude de l’article et la transparence.

    Pourquoi s’accroche-t-on aux variantes des véhicules du programme Scorpion ? Partir d’un véhicule conçu en 2014 pour la basse intensité engendre des variantes imparfaites avec le retour de l’expérience d’une guerre haute intensité en Ukraine.

    Que penser du Griffon Mepac et son toit ouvrant pour permettre le tir du mortier 120 mm devant la pléthore des drones sur la ligne de front ? Un véhicule décapoté est une cible idéale pour les dronistes, non ? Même pas besoin de viser l’entrée d’une tourelle ! Pour une portée de 8 à 13 km, ne serait-il pas judicieux de choisir comme d’autres pays européens un mortier sous tourelle (ex : Patria Nemo) ?

    Dans le cadre de la défense aérienne à courte portée, allons-nous suivre le Serval Mistral et le Serval LAD avec de surcroit le canon 30mm x 113 mm (cfr rapport de la cour des comptes point 2.1.3.) ? Pourquoi devrions-nous opter pour une solution 1 en 2 ? Alors qu’il existe des solutions en 2 en 1 (missile Mistral & canon 30 mm x 173 mm) sur un seul véhicule comme le Skyranger de Rheinmettal … mais programme Camo oblige, partons-nous sur la solution « Serval » 2 véhicules, 2 équipages, 2 x de la logistique …. ? On arrivera plus vite au 5% de cette manière.

    Le Ministre de la Défense a déclaré qu’il voulait le « meilleur » pour la Défense, on s’en éloigne

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  2. Le 11/07/25. Donc sur ce site, rien de neuf depuis le 16 juin 2025. Pourtant il y a eu du neuf pour les armées Belges. Malicieusement….Devons nous comprendre que déjà l’équipe rédactionnelle prépare à Saint- Tropez les prochaines fêtes du 21 Juillet ? Amicalement.

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    • Bonjour,

      Je vous remercie de vous soucier du site.

      Comme je l’ai dit à plusieurs reprises, ce site n’est que du bénévolat donc je n’ai aucune obligation de publication. Je n’en vis pas, voire cela me coûte de l’argent, et j’ai un travail à côté qui est prenant et je fais beaucoup de route. J’ai moins de temps à consacrer au site pour diverses raisons qui me sont personnelles. Je dois aussi prendre du temps pour moi parce que je ne vais pas sacrifier ma vie privée ou d’autres activités pour un site qui est uniquement de la passion. Alors j’écris quand j’ai du temps. Cela fait 9 ans que j’essaye de tenir la barre. Je ne sais pas si vous vous rendez compte ce que ça nécessite comme investissement personnel.

      Toutes les bonnes volontés, qui voudraient écrire afin d’assurer un bon suivi et un tournus, sont les bienvenus car cela permettrait d’enrichir le contenu. Nous ne sommes pas assez et je ne mets aucune pression aux membres de l’équipe. Mais il n’y a pas beaucoup de candidatures.

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