Pourquoi la Composante Air fait face à une baisse du nombre de pilotes

Un pilote de chasse de la Composante Air (crédit-photo BE Défense)

La Composante Air fait face à une baisse dangereuse du nombre de pilotes. Formation difficile, statut en perte d’attractivité sont des causes parmi d’autres. Explications.

Les chiffres donnés par le ministre de Didier Reynders au député CD&V Veli Yüksel sur le nombre de pilotes au sein de la Composante Air ne sont pas bons. Le nombre de pilotes d’hélicoptère a baissé en quelques années de près de 20%, passant de 89 à seulement 72. Il y a par contre tout juste assez de personnel pour les avions de combat F-16 avec 69 pilotes de chasse. Dans les années futures avec l’arrivée du F-35, le nombre d’avions de chasse va diminuer passant de 54 à 34 appareils mais la tendance doit s’inverser pour ne pas faire face à une pénurie, met en garde le député. Les causes de cette baisse sont multiples.

Des F-16 belges quittent la base de Florennes pour lutter contre l’Etat Islamique le 26 septembre 2014, une opération de haute intensité menée avec succès pendant quatre ans (crédit-photo Sedeyn Ritchie/BE Défense)

Le métier de pilote reste un métier spécifique avec une formation dure et exigeante. « Plus de deux candidats sur trois ne parviennent pas à mener à bien leur formation. Nous avons même constaté un taux d’attrition de 80% au cours de la dernière décennie. Aux Pays-Bas, par exemple, ce chiffre n’est que d’environ 20% », explique Roger Housen, conseiller stratégique du syndicat ACMP-CGPM. Le constat est le même du côté SLFP-Défense. « La spécificité du métier se fait par une sélection des plus strictes au sein des forces armées et une formation difficile à réussir », analyse Dimitry Modaert dirigeant-responsable du syndicat SLFP-Défense. Le syndicat ACMP-CGPM pointe aussi les instructeurs: « la manière dont la formation est organisée et l’approche des instructeurs ne sont pas bonnes. Trop et trop souvent, la formation est considérée comme une « sélection » et non comme un entraînement », estime Roger Housen. Mais ces départs viennent surtout de la concurrence toujours plus forte du monde civil.

Les pilotes d’hélicoptères sont les plus touchés par la baisse (crédit-photo Daniel Orban/BE Défense)

Mais comme pour d’autres postes au sein de la Défense, la concurrence du civil joue effectivement un rôle important selon le constat développé par le député Veli Yüksel et corroboré par les syndicats. Après la crise de 2008, l’aviation civile a connu un grave déclin mais se trouve désormais en pleine expansion avec un besoin accru d’avions et de pilotes d’où un flux conséquent de départs de militaires expérimentés vers le civil. « Il n’y a rien de plus facile que d’attirer les pilotes militaires au salaire plutôt « modeste » avec un traitement plus élevé, des conditions et des garanties de travail meilleures », précise Roger Housen. « L’augmentation effective des périodes de rendement après une conversion sur un autre appareil ainsi qu’un salaire trop peu attractif par rapport au secteur civil n’améliore en rien la situation », analyse de son côté Dimitry Modaert. Actuellement, les pilotes de la Composante Air peuvent rejoindre le civil au bout de six ans de service en remboursant une partie de sa formation. Le député Veli Yüksel estime c’est trop peu et que les pilotes devraient rester entre 10 et 15 ans dans l’armée pour inverser la tendance des départs et rentabiliser la formation.

Des jeunes pilotes reçoivent leurs ailes en 2014 (crédit-photo Jürgen Braekevelt/BE Défense)

Le contexte global, qui concerne la Défense dans plusieurs dossiers relatifs aux ressources humaines, n’est pas pour arranger les choses. « Les conditions de vie dans l’aile des transports aériens de Melsbroek sont peu attrayantes depuis des années: avions constamment au sol, pénurie en pièces de rechange et en techniciens de maintenance, pression de travail élevée », illustre Roger Housen. « Les causes sont aussi statutaires à cause des coupes récentes…voire probables par certaines décisions de principes actuellement « on hold » par le climat politique et liées aux bonifications du personnel naviguant ainsi qu’au relèvement de l’âge de la pension », relève Dimitry Modaert. Mi-février le lieutenant-général Jan Hennes, directeur général des ressources humaines de la Défense, présentait aux syndicats des « Initiatives pour augmenter l’attractivité du métier militaire » avec une véritable volonté d’avancer et une concrétisation rapide pour certaines. Les syndicats ont accueilli avec surprise ces initiatives, tout en restant prudent en attendant de voir si elles seront réellement réalisées. La question est de savoir si elles seront prises à temps pour enrayer cette baisse mais aussi efficaces en sachant qu’il faut plus de temps pour former un pilote d’avion qu’un fantassin ou un marin.

L’A400 M arrive en 2020 en Belgique (photo AFP)

Dans le but d’augmenter l’attractivité du métier militaire et de limiter l’attrition, la Composante Terre a lancé de son côté en 2018 une régionalisation des instructions de base pour permettre aux candidats de se former au plus près de leurs futures unités et de leurs domiciles. La Composante Marine en a fait de même. En 2019, la Défense va élargir la formation régionale et toutes les unités de la Composante Terre seront concernées. Du côté de la Composante Air, les pilotes de chasse seront désormais formés aux Etats-Unis à l’Euro-NATO Joint Jet Pilot Training (ENJJPT), une école installée sur la base aérienne Sheppard, dans le nord du Texas. Toutefois, la distance géographie ne joue pas un réel rôle pour la Composante Air. « Les jeunes qui veulent devenir pilotes ne veulent qu’une chose: voler qu’importe que la formation ait lieu en Belgique ou aux Etats-Unis. Il faut changer l’approche de la formation de base et la mentalité des instructeurs », estime Roger Housen. « Il n’y a pas de réel problème de régionalisation dans cette filière de métier, mais bien une perte d’attractivité. On doit cesser de toucher au statut de pilotes majoritairement rentrés à la Défense par vocation pour améliorer cet état de fait », explique Dimitry Modaert, rejoignant son collègue.

Le choix du remplaçant du F-16 a été un long processus difficile mais qui a abouti en octobre 2018 par le choix du F-35, un appareil qui satisfait les pilotes de la Composante Air

Ces dernières années, le Département a été l’objet de nombreuses polémiques: remplacement du F-16, frappes en Syrie etc…Dans tous ces cas, l’armée a été blanchie mais l’image auprès du grand public n’est pas forcément positive. Mais les syndicats sont catégoriques. Cela ne joue aucun rôle sur ces départs en interne. « Selon les nombreux pilotes contactés, le choix du F-35 satisfait les futurs utilisateurs concernés », précise Dimitry Modaert. Après l’annonce du choix du F-35, le commandant de la Composante Air, le général-major Frederik Vansina adressait un message plein d’espoir à son personnel alors que le renouvellement de matériel va être conséquent: NH-90, A400M etc…« Vous tenez votre avenir entre vos mains et cet avenir commence maintenant », écrivait-il sur la page Facebook de la Composante Air.

Un avenir qui ne pourra pas s’écrire sans pilotes mais aussi techniciens, des profils également difficiles à attirer avec la concurrence du privé.

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