Silence radio sur les opérations militaires belges ?

Le CHOD, l’amiral Michel Hofman, a rappelé ses troupes à l’ordre sur la sécurité informationnelle autour des opérations (crédit-photo BE Défense)

La communication au sein de la Défense belge reste encore très (trop) verrouillée.

La charge du chef de la Défense sur la sécurité informationnelle des opérations

C’est dans un document interne que le chef de la Défense, l’amiral Michel Hofman, a rappelé à son personnel de ne pas divulguer des informations trop sensibles « OPSEC » (sécurité opérationnelle) et « INFOSEC » (sécurité de l’information) en jargon militaire. Des informations opérationnelles seraient diffusées auprès de journalistes ou sur les réseaux sociaux sans accord de la hiérarchie. Les mots sont très sévères. « Le fait que des membres de notre organisation hypothèquent notre propre protection est tout bonnement inacceptable. Il ne s’agit pas seulement de pouvoir effectuer nos missions le plus efficacement possible mais aussi, dans certains cas, de la vie de collègues », écrit-il. Les exemples cités sont la cyberattaque dont a fait l’objet la Défense ainsi que la dernière opération d’évacuation depuis l’Afghanistan qui était sortie dans la presse avant une communication officielle. « C’est pourquoi dans un tel contexte, la communication au sujet des opérations doit être menée de façon centralisée. C’est uniquement à ce niveau que l’on dispose de toutes les informations pour estimer correctement le degré de sensibilité d’informations spécifiques », précise-t-il. Le message semble très sévère mais surtout interroge en tant que journaliste.

Carte des opérations de l’armée belge telle qu’on la trouvait sur l’ancien site de la Défense

Une communication officielle très parcimonieuse sur les opérations

Si on suit le canal officiel, la Défense belge communique très peu et de façon parcimonieuse sur ses opérations. Les points presse se sont raréfiés ces trois dernières années alors qu’à une époque, ils étaient bien plus fréquents. Une carte des opérations régulièrement mise à jour était disponible sur l’ancien site de la Défense ainsi qu’un rapport mensuel, une bonne initiative qui n’a duré que quelques mois. Sur le nouveau, où l’accent est beaucoup plus sur le marketing, plus rien de tout cela et encore moins sur le matériel ou les unités. La mise à jour est beaucoup moins fréquente et toutes les missions n’y sont pas avec peu de précisions sur les moyens engagés. On est à des années lumières de ce que peuvent faire d’autres pays. Les Pays-Bas sont bien plus ouverts et transparents sans que visiblement la sécurité des opérations ne soit mise en danger tel le résumé hebdomadaire des opérations publié sur le site. Tout est clair, précis souvent avec des infographies de qualité. Cela facilite grandement le travail et surtout permet d’avoir un bon aperçu de base.

La polémique sur le Pandur avait fait le tour des médias belges mais aussi européens. Le temps d’éteindre l’incendie, le mal était fait. (crédit-photo Jean-Noël Duret/BE Défense)

Une communication trop centralisée 

Le paradoxe est que certains au sein de la Défense se plaignent d’un certain mauvais traitement de la presse généraliste ou d’un manque de connaissances. Or aujourd’hui, il n’est pas possible de contacter directement pour une demande un service ou une unité. Il faut obligatoirement passer par le service général de presse qui ensuite se charge de demander l’information à l’unité avant de la transmettre. Un unique formulaire de contact est disponible pour les journalistes sur le site de la Défense. La ministre a également un porte-parole mais qui est plus centré sur des questions politiques qu’opérationnelles. Il ne faut donc pas s’étonner parfois d’une certaine lourdeur de remontée d’informations.

On voit peu de reportages depuis un navire de la Marine en opérations à part le départ ou le retour mais jamais en action (crédit-photo BE Défense)

Une communication encore trop passive et attentiste

Combien de fois, il arrive de lire sur les réseaux sociaux saviez-vous que la Défense possède telle capacité ou fait ceci ? Ou que d’autres militaires mettent en avant leur fierté sur les réseaux sociaux et ce qu’ils ont accompli.  Non mais comment pourrait-on le savoir ? La presse, ou une certaine presse, serait sans doute preneuse mais encore faut-il lui donner l’information ou faire en sorte qu’elle l’ait sans avoir besoin de se démener pour l’avoir ou qu’elle ait envie de chercher ailleurs. Il ne faut pas s’étonner ensuite que certains médias se jettent sur du « bad buzz » ou un scoop croustillant au sujet de la Défense.

Le général-major Guido Hart est à la tête de la DG StratCom depuis 2018 et doit lui faire prendre le virage de la modernité. Le département a failli disparaître peu avant son arrivée. (crédit-photo BE Défense)

Moderniser sa communication face à l’évolution du monde médiatique

A l’heure où le web prend de plus en plus d’importance et que l’information va toujours plus vite, on ne peut plus avoir un service de presse avec un fonctionnement pour des médias classiques. Ce temps est révolu d’autant plus que le grand public réclame toujours plus de transparence à tort ou à raison. Cela ne veut pas dire qu’il faut tout dévoiler sur les opérations et les mettre en danger. Pour les médias aujourd’hui, c’est une question d’heure voir de minute et plus de demi-journée ou journée pour diffuser une information sauf pour des reportages au long court. Il serait urgent de dispatcher les points de contact selon la spécificité de la demande comme beaucoup d’autres Défenses et de faciliter la prise de contact. Il faut aussi aller plus en avant vers les journalistes et ne pas les considérer comme des gens qui ne pourront pas comprendre. Si la Défense veut se donner un visage de modernité pour attirer des jeunes ou mieux faire comprendre son utilité auprès du grand public, elle doit prendre les codes actuels mais leur permettre aussi de mettre en avant leur travail sur les réseaux sociaux pour attirer d’autres jeunes. Ce n’est pas en mettant sous silence les opérations qu’elle y arrivera. Il faut sortir des sentiers battus et surprendre son « adversaire » comme pourrait le faire un militaire en opérations. Beaucoup de choses se sont améliorées mais ce n’est pas encore suffisant.

L’un des meilleurs journalistes belges de Défense, Jens Franssen, s’étonnait pour le moins de cette communication qui en a surpris plus d’un. « Mettre en danger l’Opsec, je ne l’ai pas souvent vu. Mes sources ont toujours été très engagées au sein de la Défense », constate-t-il sur Twitter. D’où l’interrogation sur le timing et le sens du message de l’amiral Michel Hofman que certains pourraient qualifier de digne de la « Grande Muette ». Il est difficile de savoir le but recherché et qui était visé mais cela laisse l’impression amère d’un retour en arrière.

L’opération New Nero au Niger est un bel exemple d’une opération militaire belge qui n’a jamais vraiment été mise en avant par la Défense et qui se réalise dans une certaine discrétion. Elle a pourtant été à un moment donné une des plus importantes de la Composante Terre. Lancée en 2017, il a fallu attendre fin 2019 pour qu’elle fasse l’objet d’un point presse avec le lancement de la mission METT Maradi. Cette dernière s’est terminée en octobre 2021 toujours dans la discrétion. L’action de la Défense belge au Niger n’a jamais vraiment eu l’intérêt des médias à part des papiers universitaires.

6 commentaires

  1. Totalement d’accord ! D’autant plus que ce sont les Belges qui paient les salaires et le budget alloué à la Défense. La Défense veut plus de budget, de matériel et d’hommes. D’accord, c’est très bien, je suis le premier à dire que c’est important « d’investir » dans la Défense.

    Cependant, si le peuple Belge n’entend jamais parler de la Défense, cela ne lui donnera pas envie de s’y engager, et ça ne donnera pas envie au peuple(et par extension ses représentants) de la financer !

    Comme me l’a dit un Adjudant dont je tairais l’identité (ce n’est évidemment pas ce qu’il ma dit « texto », mais l’intention et le contenu y est) : « Je regrette l’époque du service militaire. Pas parce qu’il y avait plus de monde ou quoi, les conscrits c’est globalement pas une bonne chose, tu peux pas en faire grand chose. Je regrette cette époque parce qu’au moins, à ce moment-là, les gens connaissaient l’armée. Maintenant pour eux ça se limite presque uniquement aux militaires dans les rues et au défilé de la fête nationale, mais pas beaucoup plus. » (C’était en fin 2019, avant le 1er confinement et le covid)

    La Défense DOIT être plus importante dans l’esprit des ministres, députés et autres représentants du peuple Belge. Mais pour cela, il faut que le peuple s’intéresse à la Défense. Pour cela, il faut que la Défense « fasse sa pub », en mettant en avant les opérations qu’elle effectue, en mettant en avant les modernisations de l’équipement, la création des nouvelles unités, etc. Et si la Défense est plus populaire auprès du peuple Belge, en plus du potentiel budget supplémentaire, elle séduirait beaucoup plus de gens, ce qui augmenterait ses effectifs, ce qui est plus que nécessaire, quand on voit l’état de certaines unités, comme le bataillon artillerie ou ISTAR, ce sont vraiment des capacités dont nous manquons cruellement.

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  2. Un journaliste est toujours dangeureux et les opérations militaires ne sont pas de faitdivers. C’est un élément difficile ou trouver un juste milieu. DG StatCom fut virtuellemnt dissout surtout par le manque de personnel, et rien d’autre. On ne peut tout de même pas nier que l’armée fut assez présente dans les médias. Il manque aussi des journalistes formés à la chose militaire, l’armée n’a nul besoin de chercheurs de scoop, il y en a déjà de trop.

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  3. Depuis 1994, la Belgique est bien plus précautionneuse dans l’engagement de ses soldats:
    https://www.bruxelles2.eu/2021/08/la-belgique-en-operations-militaires-entre-discours-et-realite

    https://www.lavenir.net/cnt/dmf20211107_01633258/rwanda-et-somalie-des-missions-plus-compliquees

    Le cauchemar rwandais est un souvenir qui collera à la mémoire de tous:
    http://ainsi-va-le-monde.blogspot.com/2021/04/rwanda-les-cauchemars-belges.html

    La Somalie aussi a laissé des traces (six militaires belges y ont laissés la vie):
    https://www.levif.be/actualite/belgique/restore-hope-il-y-a-vingt-ans-les-belges-tentaient-de-pacifier-la-somalie/article-normal-126709.html

    On le voit bien avec le renoncement à Takuba.
    https://defencebelgium.com/2022/02/16/la-defense-belge-ne-se-deploiera-pas-au-sein-de-takuba-en-2022/

    Mais aussi à l’est de l’Europe, où l’armée belge pourrait mobiliser 500 soldats dans le cadre de la VJTF de l’OTAN:
    https://www.dhnet.be/actu/belgique/l-armee-belge-manque-de-profondeur-6215324c9978e25398a07fc0

    Dans des sociétés qui ne veulent pas regarder la mort et la souffrance en face, ce qui leur rappelle de trop leur propre vulnérabilité.
    https://www.arteradio.com/son/615934/petits_soldats

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